Compte rendu : Le temps et le lieu

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4 juin 2017 Compte ren­du du doc­u­men­taire : Le temps et le lieu
dif­fusé lors de la qua­trième et dernière séance des ciné-ren­con­tres 2017 de la SQE
 
 Collaboration spéciale : Jean-François Blanchette
Bernard Émond. Pho­to : ARRQ

C’est la pre­mière fois que j’assistais à une ciné-ren­con­tre de la Société québé­coise d’ethnologie. J’ai une bonne excuse : je demeure loin de Québec. Mais je ne voulais pas man­quer cette présen­ta­tion du film de Bernard Émond, Le temps et le lieu réal­isé en 1999. Le réal­isa­teur de ce film, lui-même anthro­po­logue, désir­ait savoir ce qu’il était advenu de Saint-Denis de Kamouras­ka où l’anthropologue améri­cain Horace Min­er avait passé une année avec son épouse en 1936–1937 et avait pub­lié les résul­tats de ses obser­va­tions dans Saint-Denis, a French Cana­di­an Parish — pub­lié à The Uni­ver­si­ty of Chica­go Press en 1939 — thèse pour laque­lle il obtient son doc­tor­at la même année, tel qu’inscrit au reg­istre de cette uni­ver­sité.

Ce livre fut majeur dans l’historiographie des études anthro­pologiques nord-améri­caines et québé­cois­es. Étant moi-même anthro­po­logue for­mé à l’université Brown aux États-Unis, mes pro­fesseurs s’attendaient à ce que je con­naisse bien cet ouvrage de même que tout le débat qui s’en est suivi sur la nature des sociétés paysannes. N’ayant pas vu le film, je ne voulais pas le man­quer surtout dans le cadre de ces ciné-ren­con­tres ani­mées par l’ethnologue Jean Simard. Pour l’occasion, il avait invité Pier­rette Mau­rais, archiviste au Cen­tre d’archives de la Côte-du-Sud, pour qu’elle nous par­le de la col­lec­tion de pho­togra­phies de ter­rain d’Horace Min­er con­servées à ces archives.

La ciné-ren­con­tre com­mence avec une présen­ta­tion des réal­i­sa­tions de Bernard Émond par Jean Simard. Émond est bien con­nu pour ses nom­breux tour­nages dont quelques-uns sont des films-cultes, Ceux qui ont le pas léger sans laiss­er de trace (1992), L’épreuve du feu (1997), La femme qui boit (2001), pour ne nom­mer que ceux-là.

Puis le film nous est présen­té. On y voit Émond qui a invité l’épouse d’Horace Min­er à venir vis­iter le vil­lage. Ce fut un moment émou­vant pour cette dame main­tenant âgée qui revoit les lieux et la mai­son où elle a vécu avec son mari pen­dant un an, la demeure d’Arthur Gagnon qui n’avait pas l’eau courante il y a 60 ans et qui avait été mod­ernisée depuis. Émond a retrou­vé un cer­tain nom­bre de citoyens du vil­lage qui ont con­nu les Min­er alors qu’ils étaient bien jeunes à l’époque et se sou­ve­naient vague­ment de lui.

Cer­tains des infor­ma­teurs filmés par Émond avaient peu à dire et le cinéaste s’est attardé sur eux, sans rai­son appar­ente. Par ailleurs cer­tains aspects du film ont attiré les rires de la salle, en par­ti­c­uli­er les com­para­isons qui étaient faites avec humour avec le passé et les témoignages de plusieurs qui met­taient en valeur le lan­gage pit­toresque des gens de ce vil­lage rur­al.

La sor­tie de la messe du dimanche. Pho­to : Horace Min­er, Cen­tre d’archives de la Côte-du-Sud

À la suite du film, Simard rap­pelle la méthodolo­gie de Min­er pour le choix de ce vil­lage rur­al tra­di­tion­nel québé­cois. C’est grâce à l’aide du député fédéral de L’Islet, Georges Bouchard, auteur du livre Vieilles choses, vieilles gens, de l’influent colonel Wil­frid Bovey, auteur de Cana­di­en : étude sur les Cana­di­ens français (1935) et prési­dent de la Mon­tre­al Hand­i­craft Guild, qui encour­age les métiers tra­di­tion­nels, et de Mar­ius Bar­beau du Musée nation­al du Cana­da qui con­naît bien la Côte-du-Sud pour y avoir fait du ter­rain pen­dant plusieurs années, que Min­er est ori­en­té vers ce vil­lage demeuré tra­di­tion­nel. Car Min­er désir­ait étudi­er les mœurs et cou­tumes d’un vil­lage agri­cole qui avait con­servé ses manières de faire et qui avait une cer­taine autonomie en regard de la mod­erni­sa­tion de la société et de l’urbanisation gran­dis­sante. Simard indique égale­ment que le curé avait aidé Min­er à l’introduire – lui, un étranger — à ses paroissiens, à con­di­tion qu’il ne dise pas qu’il était protes­tant, qu’il aille à la messe le dimanche et qu’il ne par­le pas de la régu­la­tion des nais­sances.

La man­u­fac­ture de rou­ets. Pho­to : Horace Min­er, Cen­tre d’archives de la Côte-du-Sud

Puis, Pier­rette Mau­rais nous fait part du con­tenu du Fonds Horace-Min­er don­né au réal­isa­teur du film qui l’a ver­sé aux Archives de la Côte-du-Sud : 112 négat­ifs, 145 épreuves en noir et blanc, trois cen­timètres de doc­u­ments textuels et deux doc­u­ments car­tographiques. Les pho­togra­phies touchent la famille d’Arthur Gagnon qui louait une mai­son aux Min­er, d’autres familles du vil­lage et divers­es bâtiss­es – école, église, maisons, beur­rerie, etc. – la cul­ture tra­di­tion­nelle, la pêche à la fascine et les trans­ports, mais aucune sur l’agriculture à Saint-Denis. Ce qui amène une dis­cus­sion ani­mée sur les méth­odes de ter­rain des anthro­po­logues de l’époque, sur le dépôt de leurs notes et autres doc­u­men­ta­tions comme les pho­togra­phies. Sur l’anonymat des sources égale­ment, car à l’époque de Min­er, les anthro­po­logues con­ser­vaient l’anonymat de leurs infor­ma­teurs afin d’attirer leur con­fi­ance qui ame­nait les con­fi­dences sur leur mode de vie et la vie de leur com­mu­nauté. Cela n’est plus néces­saire­ment le cas aujourd’hui, car nom­bre d’informateurs désirent qu’on men­tionne leur par­tic­i­pa­tion à des enquêtes de ter­rain.

Jean Simard avec Pier­rette Mau­rais et, au cen­tre, René Gagnon (le petit-fils d’Arthur Gagnon où demeu­ra Horace Min­er et son épouse en 1936–1937). Pho­to : Jean-François Blanchette

Les infor­ma­teurs qui avaient con­nu Min­er et son épouse avaient beau­coup de respect pour lui. Le petit-fils d’Arthur Gagnon, René, était présent à ce vision­nement. En 1985, il écriv­it à Min­er pour lui deman­der les droits de tra­duc­tion pour son livre qui n’avait pas encore con­nu de ver­sion française. Min­er lui répond que les droits ont été accordés au soci­o­logue de l’Université Laval Jean-Charles Falardeau et s’adresse à lui en l’appelant « mon cousin », car les enfants des Gagnon appelaient les Min­er « mon oncle » et « ma tante ». C’était un signe d’acceptation de l’époque pour s’adresser à des étrangers ou des amis de la famille qu’on con­sid­érait comme des proches.

Les quelque 35 per­son­nes présentes ne voulaient plus quit­ter la salle et tout un cha­cun avait quelque chose à ajouter aux divers témoignages des per­son­nes présentes, signe que cette ciné-ren­con­tre avait été appré­ciée.

Références

 Georges Bouchard, Vieilles choses, vieilles gens, Mon­tréal, Louis Car­ri­er et Cie, 1926

Wil­frid Bovey, Cana­di­en — Étude sur les Cana­di­ens français, Mon­tréal, Édi­tions Albert Levesque, 1935

« Bernard Émond », Asso­ci­a­tion des réal­isa­teurs et réal­isatri­ces du Québec.

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