Le défilé de la fête nationale en 1925 : une exposition phare du patrimoine immatériel

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20 juin 2017 | Le défilé de la fête nationale en 1925 :  une exposition phare du patrimoine immatériel

Brève histoire du patrimoine québécois : diffusion

En  1925, le défilé de la Saint-Jean-Bap­tiste à Mon­tréal est le théâtre d’une expo­si­tion orig­i­nale en pro­posant des biens cul­turels comme sujets de char allé­gorique. Un dis­cours sur des biens choi­sis est ain­si pro­duit. Puis, il est reçu et com­men­té par les médias. Bref retour sur ce moment fon­da­teur de l’histoire du pat­ri­moine.

La cou­tume de la Grosse-Gerbe est présen­tée lors du défilé.

La dynamique pat­ri­mo­ni­ale

 

Le défilé présente des facettes de la cul­ture cana­di­enne-française. La scéno­gra­phie s’articule en une série de tableaux qui défi­lent l’un der­rière l’autre dans les rues, selon une lec­ture et un par­cours obligé. Le choix de biens cul­turels, comme sujets de chars, con­firme qu’ils sont suff­isam­ment impor­tants par­mi la pop­u­la­tion pour être recon­nus, même de manière sym­bol­ique. L’événement entend pro­duire un impact social en redonnant au groupe le sen­ti­ment de son exis­tence et de son iden­tité.

Le dis­cours des con­cep­teurs

En tout, qua­torze chars représen­tent des biens à car­ac­tère patrimonial[1].  Les organ­isa­teurs font appel à des per­son­nages ou à des anec­dotes his­toriques pour met­tre en valeur les biens.

Le dis­cours des con­cep­teurs est dif­fusé grâce à des maque­ttes texte-image qui sont pub­liées dans La Presse et La Patrie. Pour les arté­facts, le texte ren­voie leur fonc­tion util­i­taire au passé. L’on souligne donc un temps révolu non vécu par les con­tem­po­rains. Mais, l’idée pat­ri­moine n’est pas exprimée. Les textes sur les cou­tumes sont his­toriques et descrip­tifs. L’affiliation cul­turelle avec le groupe est explicite et con­firme une portée pat­ri­mo­ni­ale. Mais cette idée n’est pas encore for­mulée. L’information sur les savoir-faire est som­maire vraisem­blable­ment parce que, par exem­ple, le tis­sage et le filage ont un statut équiv­oque à cause de leur réin­ser­tion récente dans l’économie domes­tique et touris­tique. Ils sont rede­venus des objets utiles.

De tous les descrip­tifs, celui sur les croix de chemin affirme claire­ment une valeur pat­ri­mo­ni­ale. Selon l’auteur, elle est un « legs non le moins beau du pat­ri­moine ances­tral [qui] donne à nos cam­pagnes cana­di­ennes un cachet particulier[2] » tan­dis que les chan­sons pop­u­laires sont des biens hérités : « Faire la place belle à ces chan­sons pop­u­laires, si prenantes et si touchantes dans leur naïveté, héritage pré­cieux de nos pères et aux­quelles en tous pays, on réserve un sou­venir ému ».

Le dis­cours des médias

Les médias pro­duisent aus­si un dis­cours de récep­tion avant et après le défilé qui révèle l’adéquation des idées, ou son absence.

Les appro­pri­a­tions sont fréquentes. Ain­si, La Patrie s’intéresse à la chan­son qu’il perçoit comme un out­il de cohé­sion sociale en étant « un excel­lent moyen de pro­pa­gande et d’éducation artis­tique ». La Presse écrit : « C’est un pat­ri­moine que ces vieux airs jolis […]. Lorsque tant de nos tra­di­tions ago­nisent ou meurent, si l’on pou­vait con­serv­er la plus gra­cieuse de toutes, celle de la bonne chan­son, nous auri­ons fait encore, ce me sem­ble, œuvre bonne et patri­o­tique ».

Ailleurs, un édi­to­r­i­al s’intéresse aux mul­ti­ples con­cepts émanant du défilé :

[La pro­ces­sion] servi­ra à viv­i­fi­er en quelque sorte quelques-unes des cou­tumes et des chan­sons léguées par les ancêtres. Ce défilé […] sera comme une leçon d’histoire en dif­férents tableaux présen­tés sous une forme attrayante autant qu’artistique. […] Nous avons sûre­ment besoin de retrem­per notre foi patri­o­tique dans l’atmosphère de notre passé nation­al.

Le lende­main du défilé, tous les quo­ti­di­ens présen­tent des comptes ren­dus. Les auteurs men­tion­nent la beauté des tableaux et leur valeur éduca­tive. La majorité y perçoit un doc­u­ment his­torique impor­tant et, dans l’ensemble, c’est cette dimen­sion du défilé qui est retenue :

Ce long défilé fut comme un sai­sis­sant tableau syn­thé­tique des cou­tumes et tra­di­tions ances­trales […]. Ces nobles visions du passé demeureront aus­si une fière leçon de patri­o­tisme. […] Cha­cun a pu se ren­dre un compte plus ou moins exact de ce que furent les pénibles et héroïques débuts de la colonie, les pro­grès gigan­tesques.

La croix de chemin est pro­posée comme objet social pou­vant s’ancrer dans la sphère pat­ri­mo­ni­ale.

Les lende­mains du défilé

Par son car­ac­tère pub­lic, ce défilé affirme aux Cana­di­ens français l’importance de cer­tains biens cul­turels pro­pres au groupe. De plus, les con­cep­teurs y font altern­er des sujets his­toriques qui sou­ti­en­nent la mémoire, des biens qui témoignent d’une future iden­tité pat­ri­mo­ni­ale et d’autres, por­teurs d’une valeur pat­ri­mo­ni­ale. Cette approche est adop­tée jusqu’aux années 1960. Toute­fois, l’utilisation impor­tante de l’histoire affaib­lit la dif­fu­sion de l’idée pat­ri­moine lorsque, trop sou­vent, l’aspect his­torique domine sur leur valeur pat­ri­mo­ni­ale. De fait, en 1925, seules les chan­sons et les cou­tumes sont claire­ment iden­ti­fiées comme ayant un poten­tiel pat­ri­mo­ni­al parce qu’aucun per­son­nage his­torique n’est asso­cié à l’un de ces thèmes. Ces biens rela­tent des temps anciens et leurs représen­ta­tions per­me­t­tent d’établir une passerelle tem­porelle vers le passé, vers les ancêtres – un geste essen­tiel pour la recon­nais­sance pat­ri­mo­ni­ale d’un bien. En entrant ces biens cul­turels dans la sphère publique, l’activité s’est tout de même avérée un out­il d’interprétation nova­teur pour édu­quer les Cana­di­ens français à leur patrimoine[3].

[1] Les biens sont répar­tis en arte­facts : raque­tte et traîneau, can­ot d’écorce, croix de chemin; en cou­tumes : grosse gerbe, plan­ta­tion de mai, guig­nolée; en folk­lore : À Saint-Malo beau port de mer, Fils du roi s’en va chas­sant, Vive la France, Mar­i­anne s’en va-t-au moulin, À la claire fontaine, Vive la Cana­di­enne; et en savoir-faire :fab­ri­ca­tion sirop d’érable, tis­sage domes­tique, filage et tis­sage.

[2] Les cita­tions dans l’ordre : La Patrie, « La pro­ces­sion de la S.-Jean-Baptiste », p. 14; « Dans le défilé du 24 juin » (Jeanne Le Ber), p. 9; É.-Z. Mas­si­cotte, « Tra­di­tions avec 35 chars allé­goriques », p. 23; La Patrie, « La man­i­fes­ta­tion patri­o­tique », p. 27 et Colette, La Presse, « Charmes vieilles chan­sons cana­di­ennes », n.p.

[3] Un texte général sur les défilés est offert dans l’Ency­clopédie du pat­ri­moine cul­turel.

Bil­let orig­i­nal pub­lié le 23 juin 2015.

Avec la per­mis­sion de Diane Joly Art, his­toire et pat­ri­moine

Image en Une :  Bib­lio­thèque et Archives nationales du Québec, Fonds Édouard-Zotique Mas­si­cotte (P750).

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