23 novembre 2014 | Dans le cadre de son Programme de valorisation des porteurs de traditions, la Société québécoise d’ethnologie a récemment fait la remise de certificats de reconnaissance. Voici une brève présentation des dix porteurs de tradition du domaine de la production du sirop d’érable qui ont été reconnus par la Société. Les textes de présentation, rédigés par Bernard Genest et Louise Décarie, sont tirés de la brochure commémorative de la cérémonie de valorisation qui s’est tenue au Musée Marius-Barbeau le 28 septembre 2014. Toutes les photographies sont de Bernard Genest
Daniel Fecteau, Sainte-Marie, MRC La Nouvelle-Beauce
Daniel Fecteau, à la mort de son père, a hérité de la terre familiale sur laquelle s’est établi son arrière-grand-père, Thomas Fecteau, en 1874. Il appartient donc à une quatrième génération d’acériculteurs. En comptant son fils, Georges, cela fait cinq générations d’acériculteurs sur la même terre. La cabane date de 1876. Elle a été conservée intégralement mais son équipement est récent. L’évaporateur est neuf et monsieur Fecteau est passé aux tubulures il y a déjà plusieurs années. Récemment, il a installé un appareil d’osmose inversée dans le sous-sol de sa maison située à proximité de la cabane. Un système de pompage transporte la sève jusqu’à la maison, puis de la maison à la cabane. Le procédé lui permet de faire des économies d’énergie tout en conservant une quantité suffisante d’eau pour assurer la qualité du sirop. D’environ 3 000 entailles, l’entreprise de monsieur Fecteau demeure artisanale et se situe à la rencontre de la tradition et de la modernité.
André G. Gosselin, Sainte-Marie, MRC La Nouvelle-Beauce
André G. Gosselin a fait carrière dans l’aviation canadienne mais il appartient à une famille d’agriculteurs et d’acériculteurs depuis quatre générations. Au moment de prendre sa retraite à l’âge de 46 ans, monsieur Gosselin revient dans son pays d’origine, la Beauce, et s’établit avec sa famille sur la terre de son arrière-grand-père, Charles Landry. Monsieur Gosselin produit du sirop d’érable depuis 1973. La cabane est celle de son enfance et le procédé de transformation est traditionnel, c’est-à-dire que monsieur Gosselin entaille ses érables (environ 1 100 entailles) avec le chalumeau traditionnel, recueille la sève à la chaudière et chauffe l’évaporateur au bois. L’entreprise est artisanale et de première transformation. Elle est typique de la petite érablière familiale qu’on se passe de génération en génération. D’ailleurs une cinquième génération est déjà prête à prendre la relève.
Paule Labbé, Beauceville, MRC Robert-Cliche Fille unique d’Hervé Labbé, cultivateur, Paule Labbé a hérité de la terre de son grand-père, Louis Veilleux. Avec son mari et ses deux garçons, elle maintient vivante la tradition de fabrication du sirop d’érable pour les besoins de sa famille et de celle de son mari originaire du Lac-Saint-Jean. C’est donc une très petite industrie essentiellement artisanale. Madame Labbé n’entaille plus que 400 des 1 000 à 2 000 érables plantés par son père. Enseignante, son lieu de résidence est Saint-Georges mais l’érablière se trouve à Beauceville. La cabane date d’environ 1905 et son équipement est également ancien. À l’intérieur, sur les murs, on trouve des inscriptions qui renseignent sur les années de production et des commentaires du genre « Je suis venue manger du sucre ici en 1940 ».
Sur le site, on trouve encore l’abri de pièce sur pièce pour les chevaux. Jusqu’en 1980, la collecte se faisait en raquettes et avec le cheval. Le tracteur remplace aujourd’hui le cheval. Du temps de ses parents, c’est son père qui ramassait l’eau et sa mère, Hélène Veilleux, qui faisait bouillir. Madame Labbé tient donc son savoir-faire tout autant de sa mère que de son père même si, à l’époque, le métier de sucrier était le plus souvent l’apanage des hommes.
Yvan Labbé, Sainte-Marie, MRC La Nouvelle-Beauce
Yvan Labbé est entrepreneur forestier et producteur acéricole. Il appartient à une sixième génération d’acériculteurs. La cabane actuelle aurait été construite par son arrière-arrière-grand-père en 1910. Elle a cependant été agrandie depuis. L’entreprise est de taille moyenne, c’est-à-dire qu’elle compte 10 000 entailles. Yvan Labbé fait de la première transformation, c’est-à-dire du sirop, de la tire et du beurre, mais aussi des produits de deuxième transformation tels que des cornets, des bonbons, des caramels. La cabane est ancienne mais l’équipement est à la fine pointe de la technologie avec tubulures et concentrateur d’eau d’érable. L’évaporateur date de 1988. Monsieur Labbé porte une attention toute spéciale aux améliorations technologiques en constante évolution dans l’industrie acéricole. Un des fils de monsieur Labbé ayant suivi une formation spécialisée en acériculture, la relève semble assurée. Se situant à la limite de l’entreprise artisanale et de l’entreprise industrielle, la Ferme Sainte-Marie de Beauce inc. se particularise par cette longue filiation de sucriers sur une même terre.
Carmelle Loignon, Saint-Côme-Linière, MRC Beauce-Sartigan
Comme son père, le grand-père de Carmelle Loignon avait une érablière à Saint-Philibert. Plusieurs de ses huit frères et sœurs possèdent également une érablière. C’est dire que l’acériculture est une tradition bien ancrée dans la famille Loignon. Dès l’enfance, c’est en voyant faire son père que Carmelle Loignon a appris à bouillir. Selon l’expression, elle a « du sirop dans les veines ». Cela fait plus de 40 ans que madame Loignon exploite son érablière à Saint-Philibert quoique son lieu de résidence soit à Saint-Côme-Linière. La cabane a été construite vers 1950 et elle a conservé son aspect d’origine. Madame Loignon n’a jamais fait de concession à la modernité autre qu’un vieux tracteur de 1951, acheté en 1999 pour remplacer le cheval. Pour le reste, la récolte de la sève se fait à la chaudière et avec le tracteur, le feu est au bois, la bouilleuse n’a pas de dôme et l’outillage ne comporte ni « séparateur », ni presse pour filtrer. L’acéricultrice utilise encore des bonnets de feutres. L’érablière de Carmelle Loignon a un potentiel d’environ 2 000 entailles mais elle n’en exploite que la moitié, soit environ 1 000. Madame Loignon a déjà fait l’objet de reportages dans des journaux locaux et même à l’étranger. Elle a quatre enfants mais trois d’entre eux vivent à l’extérieur du Québec, en Alberta, en Colombie-Britannique et en Oregon. La cabane à sucre demeure le lieu de rassemblement de la famille et sa propriétaire n’a qu’un objectif : transmettre cet héritage matériel et immatériel aux siens.
Léandre Maheu, Saint-Joseph-de-Beauce, MRC Robert-Cliche
Léandre Maheu est cultivateur. Sa terre est située à proximité de celle de son aïeul Charles, le premier Maheu à s’établir en Beauce, il y a cinq générations. La terre actuelle, et l’érablière qui s’y trouve, remonte à Vidal, l’arrière-grand-père de monsieur Maheu. Jusqu’en 2003, monsieur Maheu « courait les érables » avec un traîneau tiré par un cheval de race canadienne. C’est lui qui apparaît sur la carte postale produite par le Musée Marius-Barbeau dans les années 1990.
La cabane actuelle date de 1947 et le modèle est typique des cabanes de cette époque. Une deuxième cabane, plus ancienne, faite de pièce sur pièce à queues d’aronde se trouve à proximité de l’actuelle cabane. À l’époque de l’arrière-grand-père de monsieur Maheu, on y bouillait l’eau d’érable dans des chaudrons de fonte. Léandre Maheu produit toujours son sirop de façon traditionnelle, c’est-à-dire « à la chaudière », donc sans tubulure et sans appareil d’osmose inversée. D’ailleurs, il n’y a pas d’électricité dans la cabane. La récolte se fait aujourd’hui avec le tracteur, moins pratique que le cheval, raconte monsieur Maheu parce que l’animal « connaissait son chemin et s’arrêtait de lui-même devant les arbres entaillés ». À proximité de la cabane, on trouve un abri qui servait autrefois à loger le bœuf (du temps du grand-père) et le cheval. D’environ 1 800 entailles, l’érablière de Léandre Maheu se distingue par son caractère traditionnel tant sur le plan de l’organisation matérielle que sur le plan de la méthode de fabrication du sirop.
Jean-Yves Marcoux, Saint-Elzéar, MRC La Nouvelle-Beauce
L’érablière de Jean-Yves Marcoux a été acquise par le père de ce dernier dans les années 1950–1960. Jean-Yves Marcoux en a hérité au décès de sa mère en 1991. Monsieur Marcoux exploite son érablière, selon ses propres termes, dans « la plus grande tradition ancestrale : il entaille à la chaudière, chauffe au bois et sans osmose ». La transformation de la sève d’érable en sirop se pratique dans la famille depuis plus de trois générations. Henry Marcoux, le père de Jean-Yves, était producteur mais aussi acheteur pour une entreprise de transformation de Sherbrooke. C’était avant la réglementation découlant du plan conjoint. Jean-Yves accompagnait son père chez les producteurs et c’est ainsi qu’il s’est familiarisé avec les pratiques commerciales de l’industrie. La cabane actuelle de Jean-Yves Marcoux en remplace une plus vieille qui datait de 1968. La nouvelle cabane a été construite sur le modèle de l’ancienne. Elle est spacieuse et bien organisée. L’équipement est moderne mais classique : feu de fonte au bois, évaporateur fabriqué par une entreprise centenaire de Sainte-Marie de Beauce, dôme pour l’évacuation des vapeurs et soufflerie qui pousse l’air chaud sous les tôles (pannes). Outre l’espace réservé au processus de transformation de l’eau en sirop, la cabane comprend une section pour la consommation des repas et une cuisine où trône un vieux poêle L’Islet des années 1930. Une section de la cabane, ouverte sur l’extérieur, sert de réserve pour le bois et de réservoir pour l’eau récoltée à la chaudière et avec le tracteur. L’érablière de Jean-Yves Marcoux compte environ 1 000 entailles. C’est donc une petite entreprise familiale de type artisanal. Outre le sirop, monsieur Marcoux produit aussi du beurre d’érable pour les besoins de la famille.
Henry Perreault, Sainte-Marguerite, MRC La Nouvelle-Beauce
Avant de succéder à son père sur la terre familiale, Henry Perreault a étudié à l’Institut de techniques agricoles de La Pocatière (ITA) et travaillé à la Régie des assurances agricoles du Québec. Ses connaissances en agriculture et en acériculture lui viennent donc à la fois de la tradition et d’une solide formation technique et professionnelle. Bien qu’encore jeune, Henry Perreault entaille depuis environ 20 ans. L’érablière est dans la famille depuis quatre générations. La cabane est récente mais elle est une réplique exacte de l’ancienne qui datait du début du xxe siècle. Sa charpente est faite de madriers comme autrefois et ne possède pas de cheminée d’appel sur le toit. Ce sont des trappes que le sucrier ouvre au moyen d’une longue perche de bois qui permettent l’évacuation des vapeurs. Cette particularité témoigne de la volonté du propriétaire de reproduire fidèlement le modèle de l’ancienne cabane et de respecter son caractère historique.
Cette préoccupation se reflète dans le choix qu’il fait de produire son sirop dans le respect absolu de la tradition alors qu’il est bien au fait des avancées technologiques de l’industrie. Il utilise des chaudières et récolte la sève en raquettes. Celle-ci est versée depuis peu dans un réservoir d’aluminium, mais, jusqu’à il y a deux ans, ce réservoir était un tonneau de bois tiré par un cheval. La chaudière date de 1935 et ses grandes portes en fonte proviennent d’une fonderie du comté de Dorchester. La tradition familiale veut que ce soit son grand-père qui soit allé chercher la bouilleuse à Saint-Anselme en voiture à cheval : tout un exploit à l’époque ! L’érablière d’Henry Perreault est essentiellement composée d’érables à sucre (acer saccharum). C’est une petite entreprise d’environ 1 500 entailles.
Daniel Poulin et Suzanne Doyon, Notre-Dame-des-Pins, MRC Beauce-Sartigan
Daniel Poulin est propriétaire d’une terre qui appartenait à son grand-père maternel, Albert Poulin. C’est un retraité de la compagnie Québec-Téléphone. Comme beaucoup d’acériculteurs de la Beauce, il a été initié très tôt aux techniques de transformation de l’eau d’érable en sirop, un savoir-faire qu’il transmet aujourd’hui à ses petits-enfants. Son fils Maxime est lui aussi acériculteur à Saint-Benjamin (Érablière La Bouchée d’Or) ; Maxime Poulin et son épouse, Sylvie Bolduc, ont remporté en 2003 le concours provincial, national et international de « Grand Maître sucrier », une distinction fort convoitée. C’est dire que la tradition est bien vivante dans la famille Poulin. L’érablière de Daniel Poulin et Suzanne Doyon est petite – elle compte environ 500 entailles – mais les arbres atteignent des tailles remarquables, certains pouvant avoir jusqu’à 250 ans.
La cabane aurait été construite vers 1915. Elle est représentative des cabanes de cette époque avec sa hotte d’évacuation sur le toit, sa structure en madriers, son revêtement de planches, sa grande porte coulissante et son abri pour le bois. D’autres constructions complètent le site dont un petit bâtiment renfermant la cuisine et un espace de repos, et un abri de pièce sur pièce pour le cheval. L’équipement de la cabane est sommaire : feu de fonte, bouilleuse à trois pannes, bassin d’environ 300 gallons. La méthode de transformation est des plus traditionnelles. L’eau d’érable est récoltée à la chaudière et passe directement du bassin à la bouilleuse. Daniel Poulin et Suzanne Doyon produisent, outre le sirop, du sucre mou, du sucre granulé et des produits de troisième transformation dont des vinaigrettes.
Nicole Poulin et Laurent Larivière, Sainte-Marguerite, MRC La Nouvelle-Beauce
Fille et petite-fille de cultivateurs, Nicole Poulin a été initiée très tôt aux divers travaux de la ferme, dont l’acériculture. Son père, Eugène Poulin, possédait une érablière dans la municipalité de Saint-Alfred, près de Beauceville. Le printemps, la « fièvre des sucres » s’emparait des membres de la famille ; pendant que certains « couraient les érables, d’autres aidaient aux tâches manuelles et à la cuisine », raconte madame Poulin. Plus tard, son conjoint, Laurent Larivière, apporte sa contribution. Au décès d’Eugène Poulin, Nicole et Laurent exploitent l’érablière familiale pendant une douzaine d’années avant d’acheter, vers 1998, leur propre érablière dans le rang Saint-Georges à Sainte-Marguerite.
Les temps ayant changé, la collecte de l’eau d’érable à la chaudière a été remplacée par les tubulures, pompes et autres accessoires de l’acériculture moderne dont un appareil d’osmose inversée et sa colonne. Ce qui particularise la production de cette érablière familiale, c’est la diversité des produits transformés : sirop, tire, beurre, cassonade, caramel, chocolat au beurre de sel à l’érable, chocolat fourré au beurre d’érable, noix à l’érable, pop-corn à l’érable, barres de chocolat avec pépites d’érable, bonbons durs à l’érable, bonbons mous français à l’érable, suçons à l’érable, poivre à l’érable, vinaigre de framboise sucré au sucre d’érable, vinaigrette à salade, trempette. Nicole Poulin participe à plusieurs salons et tables agroalimentaires mettant en valeur les produits du terroir beauceron. Elle commercialise ses produits sous le nom Les Gourmandises de Nicole à partir de Saint-Jean-Chrysostome, son lieu de résidence. Madame Poulin fait remarquer que, comme pour le tour de main des artisans, le savoir appris dans les livres n’est pas tout : le savoir-faire compte pour beaucoup.
Image à la Une : La cabane à sucre de Daniel Poulin et de Suzanne Doyon
4 commentaires
Dommage de récompenser seulement des Beaucerons. Sur la Côte-de-Beaupré et l’Ile-d’Orléans, il y a des sucreries deux et trois fois plus vieilles, de 6 à 13 générations. Évidemment, les cabanes et les équipements ont du être renouvelés.
Il y a en effet des traditions fortes en acériculture dans plusieurs régions du Québec. Dans notre programme de valorisation des porteurs de tradition, nous choisissons une région où ces traditions sont fortes. En Beauce, nous avons trouvé un grand nombre d’acériculteurs qui pratiquent l’acériculture traditionnelle, d’où notre choix. C’est sûr que des acériculteurs ailleurs au Québec méritent notre reconnaissance et nous invitons les gens à encourager les porteurs de tradition dans leur propre région. Pour connaître notre programme de valorisation des porteurs de tradition, je vous réfère à la page web suivante: http://ethnologiequebec.org/valorisation-des-porteurs-de-traditions/
Etonnant d’apprendre qu’il y a autant de porteurs de tradition acericole…
Je rajouterais mon cousin, Gaetan Caron de St Louis de France, Mauricie, qui perpetue pour notre plus grand bonheur la cueillette à cheval!
Merci Pascale, j’en prends bonne note!