15 février 2017 | Bonne Sainte-Anne, sauvez votre musée
Michel Lessard, membre de la SQE, se mobilise pour la sauvegarde du Musée de Sainte-Anne-de-Beaupré.
Les journaux nous apprenaient, la semaine dernière, la fermeture du Musée de Sainte-Anne-de-Beaupré. C’est mon ancêtre Étienne de Lessart (1623–1703), débarqué à Québec en 1645, qui avait donné les terres pour la construction de la première église de Sainte-Anne en 1658 au début du pays français. Dès son arrivée dans la cité de Champlain, Étienne s’était fait construire une barque à voiles d’une trentaine de pieds, chambre à l’avant et à l’arrière, et faisait du cabotage sur le Saint-Laurent de Trois-Rivières à Chicoutimi. Le premier du métier! Il avait obtenu un immense lopin de terre sur la Côte de Beaupré, y avait érigé une bonne maison, cultivait la terre pour récolter du blé, de l’orge, des pois, des choux, et faisait du troc de victuailles en échange de peaux de fourrures qu’il exportait en France. Pour un marin fermier, il était normal que la paroisse et l’église soient consacrées à Sainte-Anne, protectrice séculaire des gens en mer et des voyageurs sur l’onde océanique. Très rapidement, la maison d’Étienne accueillera des pèlerins épargnés d’un naufrage en leur offrant le gîte et le repas pour satisfaire leurs vœux. Étienne, mort à 80 ans, aura dix enfants et fut seigneur de l’île aux Coudres et de Lanoraie.
Dans le dernier quart du 19e siècle, la reconstruction d’un nouveau temple inauguré en 1878 devient rapidement une basilique mineure et s’organise physiquement en véritable sanctuaire dans la plus pure tradition millénaire gréco-latine, comme à Delphes par exemple. Le Saint des Saints, rempli d’ex-voto de miraculés dès l’entrée dans la nef, abrite la statue radiée d’or du thaumaturge installé sur une colonne triomphale près du chœur. On la regarde avec crainte et déférence. Puis le site sacré, accessible par chemin de fer et par navire à vapeur, exploite tous les caractères du sanctuaire classique, fontaine d’eau miraculeuse, chemin de croix rédempteur dans la montagne, scala sancta (escalier saint) qu’on monte à genoux en priant, le fabuleux cyclorama de Jérusalem, une grande résidence pour les religieuses et les Rédemptoristes maîtres de l’entreprise, un lieu d’accueil des infirmes et des malades, tables à pique-nique, réfectoires, hôtels, restaurants, boutiques à souvenirs, tout cela dans des parfums d’encens et dans un univers de cantiques et de psaumes d’allégresse portés par les grandes orgues. J’ai connu tout cela dans mon enfance, chaque été, en juillet, il y a 70 ans, j’ai acheté des médailles et une image de la statue de la Bonne Sainte-Anne. Mes parents étaient abonnés aux Annales. Des millions de fidèles ont vécu et vivent encore ces atmosphères. On aimait surtout les pique-niques!
Le musée demeure un magnifique édifice de style international, une des constructions les mieux réussies du sanctuaire, bien harmonisée à la majestueuse basilique tout près. Tous devraient visiter ce site et son temple. Les collections de trésors patrimoniaux du musée sont uniques, plusieurs remontant à l’époque du Régime français. . Et ces espaces peuvent accueillir des expositions temporaires sur l’histoire de la Nouvelle-France et sur la culture religieuse de notre pays à l’ère du rationalisme scientifique et de la société laïque. . Cette institution devrait être reprise par une corporation à but non lucratif, financée par les deniers de l’état fédéral et l’état du Québec, non pas pour son rapport à la religion, mais parce qu’elle s’inscrit vigoureusement dans l’élan du patrimoine national explicatif de notre passé et de notre identité. Le Musée de Sainte-Anne devrait être une antenne professionnelle du Musée de la civilisation, dynamisé depuis quelques années par des bénévoles et ouvert gratuitement au public. Sommes-nous si pauvres culturellement et économiquement, qu’on ne peut plus conserver l’essentiel aux portes du Cap-Tourmente, du Mont-Sainte-Anne et de Charlevoix?
Michel Lessard, historien
Image à la Une : détail d’une salle du musée. Photo : Sanctuaire Sainte-Anne-de-Beaupré
2 commentaires
Bonjour,
Si vous saviez comme je me suis reconnue lorsque vous évoquiez vos souvenirs
d’enfance. Notre famille habitait Deschambault et chaque été nous allions en pèlerinage
à Ste-Anne-de-Beaupré. Ma mère préparait un pique-nique, des friandises et dans
l’après-midi, suprême récompense, nous avions droit à un cornet de crême glacée.
Comme il y a plusieurs marins dans la famille de ma mère, Sainte Anne a toujours eu
une place privilégiée et était invoquée fréquemment.
Aujourd’hui encore, il faut s’arrêter à chaque fois que nous sommes dans la région.
J’espère que vous saurez convaincre les autorités en place de conserver ce musée
pour permettre aux générations à venir de se souvenir de cette époque.
Bonne chance dans votre démarche.
Malheureusement, ni le Devoir, ni le Soleil n’ont publié mon article. La mort d’un musée qui exprime 400 ans d’histoire grandement liée à notre identité est moins intéressante que quelqu’un qui vole un peigne chez Jean-Coutu. La faiblesse de notre système d’éducation et la faiblesse intellectuelle de nos politiciens sans vision expliquent la pauvreté culturelle de notre société. Un peuple sans passé est un peuple sans avenir. Au Québec, on gomme l’histoire.
L’histoire est synonyme de mémoire. Imaginez si ce soir, je vous enlevais votre mémoire. Comment pourriez-vous retourner à la maison, savoir comment utiliser vos ustensiles au souper, comment fonctionne votre téléviseur? Quant on retire sa mémoire à un peuple, on peut l’amener n’importe où, il devient malléable, incapable d’assumer sa liberté, de pouvoir choisir entre deux biens proposés comme tel. L’Ignorance totale, le déracinement font l’affaire du système, d’un système qui ne veut que des consommateurs.
Cordialement
Lessard