Le 27 novembre 2023
Ce portrait est tiré de l’article de Jean-Pierre Pichette intitulé « Luc Lacourcière et l’institution des Archives de folklore à l’Université Laval (1936–1944). Autopsie d’une convergence. », publié initialement dans la revue Rabaska (volume 2, 2004, p. 11–29). Il retrace les débuts professionnels du fondateur des Archives de folklore.
Ethnographe, folkloriste, professeur et chercheur reconnu, Luc Lacourcière est une figure majeure de l’ethnologie au Québec et l’acteur principal du développement de cette discipline au sein de l’Université Laval. Né à Saint-Victor de Beauce le 18 octobre 1910, Lacourcière étudie au Petit Séminaire de Québec, puis obtient une licence en littérature et un diplôme de l’École normale supérieure de l’Université Laval. Il s’envole ensuite vers la Suisse pour enseigner la littérature française dans un collège à Porrentruy pendant un an. À l’époque, son intention première est de poursuivre ses études en littérature à la Sorbonne. Il envisage de rédiger une thèse sur les travaux de Guy de Maupassant. Toutefois, lors de ce séjour dans le Jura, il découvre les écrits naturalistes de l’écrivain suisse Charles-Ferdinand Ramuz qui l’inspirent grandement. Il abandonne son projet de thèse et revient au Québec en 1937.
Cette année-là, trois événements vont s’avérer déterminants dans son parcours professionnel. D’abord, il assiste au deuxième Congrès de la langue française, un rassemblement organisé par la Société du parler français, qui se déroule à Québec durant tout l’été 1937. Des milliers de représentants des différents groupes francophones d’Amérique s’y réunissent. Lacourcière participe à quelques activités. Il est aussi chargé de diriger la publication en quatre volumes du compte rendu de l’événement. Ce travail lui fait remarquer l’absence d’activités en lien avec les traditions populaires et la littérature orale dans la programmation du congrès tout en lui faisant prendre conscience de la vulnérabilité de l’expression française en Amérique. C’est ensuite en 1937 que l’écrivain et l’homme d’église Félix-Antoine Savard publie son premier roman, Menaud, maitre-draveur. Touché par ce roman qui aborde le thème de la survivance, Lacourcière en publie une critique élogieuse dans un quotidien de Québec, ce qui le conduit à rencontrer Savard et à se lier d’amitié avec lui. La parution enfin, la même année, du livre Romancero du Canada de Marius Barbeau, un recueil reproduisant cinquante chansons folkloriques, renforce également la conviction de Lacourcière quant à l’importance d’étudier la littérature orale pour appréhender la culture canadienne-française.
En 1938, Luc Lacourcière commence sa carrière comme professeur à l’Université Laval. Il enseigne d’abord à temps partiel la langue et la littérature française, tout en dispensant des cours de latin au Collège Bourget de Rigaud. C’est lors d’un séjour à Ottawa qu’il rencontre pour la première fois l’auteur du Romancero. Barbeau l’initie ensuite à l’étude du folklore. Grâce à la bourse Carnegie de la Société royale du Canada (1939–1940), Lacourcière devient le stagiaire de Barbeau au Musée national du Canada pendant six mois et amorce ainsi ses recherches sur la littérature orale. En raison de la Deuxième Guerre mondiale qui l’empêche de se rendre en Europe, il effectue de nombreux séjours de recherche dans des bibliothèques américaines pour consulter, notamment, les écrits des folkloristes français. Par la suite, il poursuit ses travaux grâce à une bourse de la Fondation Guggenheim (1943–1944), tout en menant des enquêtes de terrain dans Charlevoix en collaboration avec Félix-Antoine Savard.
À l’époque, la littérature orale et le folklore ne font pas partie du cursus universitaire. Dès 1942, Lacourcière avait exprimé son souhait de voir l’Université Laval s’engager dans l’inventaire, l’enseignement et l’étude du folklore québécois. Ce vœu se concrétise en 1944 lorsqu’il rédige une proposition de chaire, co-signée par Savard, qu’il présente aux instances universitaires. Cette initiative entraine la fondation des Archives de folklore dont Lacourcière, devenu professeur titulaire, assume la direction de 1944 jusqu’à sa retraite en 1978. Il décède en 1989.
Ainsi, c’est par le biais de la littérature (il fut un pionnier dans l’édition critique d’œuvres littéraires) que Luc Lacourcière a découvert l’étude du folklore et de la littérature orale. Le deuxième Congrès de la langue française, la publication de Menaud, maître draveur et du Romancero du Canada, ses rencontres avec Savard et Barbeau et les relations développées plus tard avec les spécialistes de la littérature orale en France, ont marqué son parcours professionnel de manière indélébile. Professeur, chercheur, conférencier et membre de la Société des Dix, Lacourcière a laissé une œuvre marquante. En témoignent à coup sûr sa célèbre édition des poésies complètes de Nelligan (1952) et ses livres posthumes sur Nelligan et la chanson populaire (2009) et sur le légendaire de la Corriveau (2017). Mais sa grande renommée s’est plutôt bâtie sur son rôle de fondateur des Archives de folklore dont la création marque le début des programmes de recherche et d’enseignement en ethnologie à l’Université Laval et un tournant dans le développement de la discipline au Québec.
Quelques références
Lacourcière, Luc. Émile Nelligan. Poésies complètes 1896–1899. Texte établi et annoté par Luc Lacourcière. Montréal et Paris, Fides, 1952, 331 p. (Coll. du Nénuphar, no 13).
Lacourcière, Luc. Essais sur Émile Nelligan et la chanson populaire. Édition préparée par André Gervais. Montréal, Fides, 2009, 448 p.
Lacourcière, Luc. La Corriveau. La formation d’une légende. Édition préparée par Bertrand Bergeron et Jean-Pierre Pichette. Québec, Presses de l’Université Laval, 2017, 197 p. (Coll. Les Archives de folklore, no 32).
Crédits
Rédaction : Laurence Provencher-St-Pierre
Révision : Louise Décarie
Image à la une : Luc Lacourcière dans la bibliothèque de sa maison de Beaumont. Source : collection Benoît Lacroix, 24 juillet 1987.
Pour aller plus loin
Arsenault, Georges. « Été 1958, Luc Lacourcière en Acadie. » Rabaska, volume 17, 2019, p. 273–278. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2019-v17-rabaska04985/1066021ar/
Dupont, Jean-Claude, sous la direction de. Mélanges en l’honneur de Luc Lacourcière. Ottawa, Les Éditions Leméac inc., 1978, 485 p.
Gaulin, André. « Luc Lacourcière entre l’éphémère et la durée. » Rabaska, volume 8, 2008, p. 122–130. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2010-v8-rabaska3976/045261ar/
Huot, Giselle. « La correspondance Luc Lacourcière-Benoît Lacroix (1950–1987). » Rabaska, volume 10, 2012, p. 157–176. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2012-v10-rabaska0402/1013547ar/
Lacourcière, Luc et Jean-Pierre Pichette. « Le folklore et les femmes. » Rabaska, volume 15, 2017, p. 161–180. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2017-v15-rabaska03206/1041124ar/
Lacroix, Benoît. « Luc Lacourcière, un homme partagé. » Rabaska, 2010, volume 8, p. 118–121. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2010-v8-rabaska3976/045260ar/
Pichette, Jean-Pierre, « Luc Lacourcière et l’institution des Archives de folklore à l’Université Laval (1936–1944). Autopsie d’une convergence. », Rabaska, volume 2, 2004, p.11–29. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2004-v2-rabaska3648/201644ar/