Le 8 févri­er 2024

Ce por­trait est tiré de l’article de Jean-Pierre Pichette inti­t­ulé « Ger­main Lemieux (1914–2008) » et pub­lié ini­tiale­ment dans la revue Rabas­ka (vol. 6, 2008, p. 134–139).

Prêtre, pro­fesseur et folk­loriste québé­cois, Ger­main Lemieux a large­ment con­tribué au ray­on­nement de la cul­ture pop­u­laire fran­co-ontari­enne ain­si qu’au développe­ment de la recherche en eth­nolo­gie en Ontario. Il a fondé en 1960 l’Institut de folk­lore de l’U­ni­ver­sité de Sud­bury, renom­mé le Cen­tre fran­co-ontarien de folk­lore en 1972, dont il a assumé la direc­tion jusqu’en 2001.

Né le 5 jan­vi­er 1914, à Cap-Chat, en Gaspésie, Ger­main Lemieux a vingt-et-un ans lorsqu’il entre chez les Jésuites. Il s’installe en Ontario en 1941, alors qu’on lui attribue une tâche d’enseignement en his­toire au Col­lège Sacré-Cœur de Sud­bury. À la source de ses recherch­es eth­nologiques, on retrou­ve d’abord un motif péd­a­gogique. Au Col­lège Sacré-Cœur, il relève des simil­i­tudes entre cer­tains réc­its mythologiques qu’il enseigne à ses élèves et les réc­its pop­u­laires qu’il a enten­dus dans son enfance en Gaspésie. À par­tir de ce moment, il se tourne vers l’étude de la cul­ture pop­u­laire et cherche à démon­tr­er aux étu­di­ants la présence d’un héritage ori­en­tal dans la tra­di­tion orale fran­co-ontari­enne.

Poly­va­lent, Ger­main Lemieux aimait se décrire comme un « touche-à-tout ». Tout au long de son par­cours, Ger­main Lemieux a appuyé sa démarche sur un objec­tif évi­dent de val­ori­sa­tion et de dif­fu­sion de la cul­ture pop­u­laire. Par­al­lèle­ment à sa car­rière d’enseignant, il pour­suit des études supérieures. Il obtient une licence en théolo­gie du sco­las­ti­cat de l’Immaculée-Conception de Mon­tréal (1948), puis une maîtrise (1955) et un doc­tor­at (1961) en études cana­di­ennes de l’Université Laval. Il enseigne suc­ces­sive­ment l’histoire à l’Université de Sud­bury (1957–1959) et à l’U­ni­ver­sité Lau­ren­ti­enne (1961–1965), puis le folk­lore à l’U­ni­ver­sité Laval (1965–1968).

Ses pre­mières enquêtes de ter­rain débu­tent en 1948. Encour­agé par un de ses anciens pro­fesseurs, le père Loren­zo Cadieux, il mène des recherch­es, qu’il nomme alors des « sondages », sur le pat­ri­moine oral dans les cam­pagnes fran­coph­o­nes entourant la ville de Sud­bury. À par­tir de ce ter­rain ini­tial au nord de l’Ontario, il élar­git gradu­elle­ment les fron­tières géo­graphiques de ses enquêtes et s’engage dans une recherche qu’il pour­suiv­ra pen­dant vingt-cinq ans.

Lui-même musi­cien, Ger­main Lemieux s’intéresse d’abord à la chan­son tra­di­tion­nelle, ce qui l’amène à con­stituer une col­lec­tion de 3 118 enreg­istrements sonores de chan­sons pop­u­laires. À par­tir de 1949, il dif­fuse ses résul­tats de recherche par divers­es pub­li­ca­tions dont plusieurs sont soutenues par la Société his­torique du Nou­v­el-Ontario (SHNO). Il est notam­ment l’auteur de Chan­son­nier fran­co-ontarien I (1974) et Chan­son­nier fran­co-ontarien II (1975), deux ouvrages réu­nis­sant 112 chan­sons tirées de sa col­lec­tion et qui seront réédités en trois vol­umes sous le titre Les vieux m’ont chan­té (1986).

En 1953, ses études à l’Université Laval le met­tent en con­tact avec Luc Lacour­cière et l’équipe des Archives de folk­lore. Spé­cial­iste de la lit­téra­ture orale, le pro­fesseur Lacour­cière encour­age son nou­v­el élève à élargir son champ de recherche jusque-là lim­ité à la chan­son afin d’y inté­gr­er aus­si les con­tes pop­u­laires fran­co-ontariens. Lemieux s’engage alors dans ce champ d’étude et y con­sacre son mémoire de maîtrise, puis sa thèse de doc­tor­at dans laque­lle il pro­duit une étude com­par­a­tive du con­te Placide-Eustache. Comme il le fait pour ses recherch­es sur la chan­son, il dif­fuse les résul­tats de ses enquêtes sur les con­tes en pub­liant quelques brochures, puis l’ouvrage Placide-Eustache. Sources et par­al­lèles du con­te-type 938 en 1970.

Son par­cours de recherche et ses enquêtes sur les con­tes pop­u­laires l’amènent par la suite à pub­li­er ce qui con­stitue son œuvre maîtresse et l’exemple le plus vis­i­ble de son tra­vail de dif­fu­sion, soit les trente-trois vol­umes de la série Les vieux m’ont con­té. Ces ouvrages pub­liés régulière­ment entre 1973 et 1991 repro­duisent 646 con­tes et légen­des recueil­lis et annotés par Lemieux et quelques col­lab­o­ra­teurs. Provenant de l’On­tario et, dans une moin­dre mesure, du Nou­veau-Brunswick, du Québec et du Man­i­to­ba, les con­tes y sont présen­tés en ver­sion remaniée et en ver­sion inté­grale. Ils sont accom­pa­g­nés d’index ana­ly­tiques, de fich­es tech­niques et de lex­iques, total­isant un tra­vail minu­tieux se déploy­ant sur plus de 10 000 pages. Pour étudi­er et met­tre en valeur tout ce pat­ri­moine, l’Université de Sud­bury établit en 1975 un pro­gramme d’enseignement uni­ver­si­taire de pre­mier cycle à l’origine de son départe­ment de folk­lore et eth­nolo­gie. Le père Lemieux a dressé lui-même le bilan de sa car­rière pro­lifique dans une série d’entretiens radio­phoniques dif­fusés à la radio de Radio-Cana­da en 1996. Ces « con­fes­sions-mémoires » du célèbre eth­no­logue, pub­liées en 2020, pren­nent l’allure d’un véri­ta­ble tes­ta­ment intel­lectuel.

La con­tri­bu­tion majeure du père Ger­main Lemieux à l’étude du folk­lore fran­co-ontarien a été recon­nue de son vivant alors qu’on lui décerne trois doc­tor­ats hon­ori­fiques de l’Université York, de l’Université d’Ot­tawa et de l’Université Lau­ren­ti­enne. De plus, on organ­isa à Sud­bury en 1991 un col­loque inter­na­tion­al autour de son œuvre dont les actes, pub­liés en 1993, con­stituent un bilan de l’ethnologie en Ontario français. Après soix­ante ans à Sud­bury, il retourne au Québec en 2001. Il décède à Saint-Jérôme, à la Mai­son des Jésuites, le 26 mars 2008, à l’âge de 94 ans.

Crédits

Rédac­tion : Lau­rence Provencher-St-Pierre
Révi­sion : Louise Décarie

Image à la une : Père Lemieux ten­ant une bouteille, Gra­cieuseté du Cen­tre fran­co-ontarien de folk­lore, Sud­bury

Quelques références

Lemieux, Ger­main, Folk­lore fran­co-ontarien : chan­sons I. Sud­bury, SHNO, « Doc­u­ments his­toriques » 17, 1949, 48 p.

Lemieux, Ger­main, Folk­lore fran­co-ontarien : chan­sons II. Sud­bury, SHNO, « Doc­u­ments his­toriques » 20, 1950, 48 p.

Lemieux, Ger­main, Con­tes pop­u­laires fran­co-ontariens [I]. Sud­bury, SHNO, « Doc­u­ments his­toriques » 25, 1953, 40 p.

Lemieux, Ger­main, Con­tes pop­u­laires fran­co-ontariens II. Sud­bury, SHNO, « Doc­u­ments his­toriques » 35, 1958, 60 p.

Lemieux, Ger­main, Chan­son­nier fran­co-ontarien I. Sud­bury, SHNO, « Doc­u­ments his­toriques » 64, 1974, [4]-138 p.

Lemieux, Ger­main, Chan­son­nier fran­co-ontarien II. Sud­bury. SHNO, « Doc­u­ments his­toriques » 66, 1975, [4]-142 p.

Lemieux, Ger­main, Placide Eustache. Sources et par­al­lèles du con­te-type 938, [Pré­face de Luc Lacour­cière]. Québec, PUL, « AF » 10, 1970, VIII-214 p.

Lemieux, Ger­main, Les vieux m’ont con­té, Mon­tréal, Bel­larmin ; et Paris, Maison­neuve et Larose, 1973–1993, 33 vol. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2406241

Lemieux, Ger­main, Les vieux m’ont con­té, Mon­tréal, Bel­larmin ; et Laval, Édi­tions FM, 1981, 2 vol.

Lemieux, Ger­main, Les vieux m’ont chan­té, Laval, Édi­tions FM, 1986, 3 vol.

Pichette, Jean-Pierre, Ger­main Lemieux sur le bil­lo­chet. Con­fes­sions d’un passeur de mémoire, Québec, Press­es de l’Université Laval, « Archives de folk­lore » 34, 2020, 292 p.

Pour aller plus loin

Berg­eron, Bertrand, « Ger­main Lemieux, tel qu’en lui-même et en moi-même », Rabas­ka, vol. 20, 2022, p. 224–230. https://www.erudit.org/en/journals/rabaska/2022-v20-rabaska07466/1093899ar/

Car­rière, Bernard, « Un passeur de mémoire influ­encé par sa for­ma­tion jésuite ? », Rabas­ka, 2022, vol. 20, p. 218–223. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2022-v20-rabaska07466/1093898ar/

Pichette, Jean-Pierre, « Ger­main Lemieux (1914–2008) », Rabas­ka, vol. 6, 2008, p. 134–139. https://www.erudit.org/en/journals/rabaska/2008-v6-rabaska2773/019993ar/

Pichette, Jean-Pierre (dir.), L’œuvre de Ger­main Lemieux, s.j. Bilan de l’ethnologie en Ontario français. Sud­bury, Cen­tre fran­co-ontarien de folk­lore et Prise de parole, « Ancrage », 1993, 529 p.

Pos­tic, Fañch, « Lemieux m’a con­té ». Rabas­ka, vol. 20, 2022, p. 231–236.  https://www.erudit.org/en/journals/rabaska/1900-v1-n1-rabaska07466/1093900ar/