Jacques Bourgault (1940–2017)

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14 mars 2017 | Hommage à Jacques Bourgault, sculpteur (1940–2017)

Jean-François Blanchette, Société québécoise d’ethnologie

 

Jacques Bour­gault sculpte un Saint-Joseph dans son ate­lier en 1986.

Jacques Bour­gault était le fils de Médard Bour­gault, le fon­da­teur du mou­ve­ment de sculp­ture sur bois qui a fait la renom­mée nationale et inter­na­tionale de Saint-Jean-Port-Joli au cours du XXe siè­cle. En effet, dès que Médard Bour­gault a été con­nu du pub­lic à par­tir des années 1930, ses frères, puis ses enfants, neveux et nièces et de nom­breux Québé­cois ont suivi les traces de Médard et ont don­né à leur créa­tiv­ité une grande vis­i­bil­ité, ici et au-delà des fron­tières. Jacques Bour­gault, l’un des cinq fils de Médard, était du nom­bre. Voici quelques notes qui nous per­me­t­tent de se rap­pel­er ce qu’il fut ain­si que son œuvre.

André-Médard, frère de Jacques, me racon­tait, l’été dernier : « La mai­son était pleine de sculp­tures. On a gran­di là-dedans. Mon frère Jacques et moi, quand on était jeune, on se prom­e­nait sur le ter­rain à tra­vers les stat­ues qui étaient sur le rocher, der­rière la mai­son. Pour nous autres, ça fai­sait par­tie de la vie ». Vivant au milieu d’une famille dont le cen­tre d’activité est à l’atelier du père, les enfants de Médard, filles comme garçons, jouent dans le vaste ate­lier attenant à la mai­son, là-même où a débuté la toute pre­mière école de sculp­ture sur bois de Saint-Jean-Port-Joli en 1940, avec ses seize élèves venus de tous les coins de la province. Mais Jacques ne s’intéresse pas vrai­ment à tout ce qui s’y passe, car il est attiré par la vie de marin qui a été le pre­mier méti­er de son père et de plusieurs de ses oncles. On peut imag­in­er que les his­toires de matelots que Jacques a enten­dues dans sa jeunesse meublent son imag­i­naire d’enfant et d’adolescent.

Mais la sirène des arts guet­tait. La fille de Jacques, Karine Bour­gault, racon­te qu’à seize ans, après avoir quit­té l’école, Jacques se retrou­ve à l’atelier où il apprend la sculp­ture de ses frères, en par­ti­c­uli­er de Claude, qui est de six années son aîné. Car Médard, bien qu’omniprésent, préfère qu’on l’observe plutôt que de mon­tr­er com­ment faire. Jacques se pra­tique d’abord avec de petites pièces, des ani­maux surtout. Puis à l’âge de 21 ans, il fait le saut défini­tif en sculp­ture et assiste son père à rem­plir les com­man­des de stat­ues qui arrivent à l’atelier. Il fait d’abord le découpage des pièces que son père com­plète. Puis il tra­vaille ses pro­pres pièces, se fait lente­ment la main, développe son tal­ent et un style très per­son­nel, qui se con­cré­tis­eront par des représen­ta­tions humaines dans l’art religieux, le mou­ve­ment et le souci du détail, même dans les doigts de la main, fine­ment ciselés.

Jacques Bour­gault sculpte «Le retour du marché» lors de l’Internationale de la sculp­ture en 1999, Saint-Jean-Port-Joli (volet provin­cial). Pho­to : René B. Lamarche, Ottawa**

Le décès de Médard le 21 sep­tem­bre 1967 est un événe­ment trag­ique pour la famille. Per­dre un père est tou­jours pénible. Mais, en plus, on perd le maître de l’atelier, celui à qui tous les clients demandaient une œuvre, comme si les enfants et autres sculp­teurs autour ne comp­taient pas. On voulait du Médard, juste du Médard! Les enfants devaient alors s’imposer, mon­tr­er leur savoir-faire et expos­er leur pro­pre tal­ent. Karine racon­te que Jacques sculp­ta alors un Christ en croix que son père malade avait dess­iné pour l’église de Beaupré : « Ce fut la pre­mière pièce religieuse que mon père com­plé­ta et signa. »

Karine ajoute :

« À par­tir de 1968, on peut dire que la sculp­ture était dev­enue son méti­er, son appren­tis­sage était com­plété. Il reprit en charge l’atelier et, à par­tir de ce moment, lorsque les clients, en voy­ant ses sculp­tures, dis­aient : « Ce n’est pas du Médard! ». Il pou­vait affirmer avec fierté : « Non, c’est du Jacques Bour­gault! ».

Les com­man­des étaient rares au début. Une ren­con­tre impor­tante fut celle de l’abbé Édouard Bon­nin du Man­i­to­ba pour lequel il réal­isa plusieurs œuvres religieuses et qui lui fit une bonne pub­lic­ité. Après, ce fut l’Ontario. Il y a même eu l’abbé Marc­hand de Sud­bury, qui voulait qu’il s’installe en Ontario. Il était devenu une référence en art religieux dans cette province. À par­tir de 1975, il rem­plit des com­man­des venant du Maine, du Mass­a­chu­setts, de New York et du Michi­gan. Des sculp­tures religieuses se sont retrou­vées en République démoc­ra­tique du Con­go et au Japon. Le plus gros cor­pus réal­isé fut un Christ mort de 10 pieds en bois de chêne pour l’église Notre-Dame-de-Lour­des dans l’état du Mass­a­chu­setts.

L’art religieux occu­pa 50 ans de la car­rière de sculp­teur de mon père. Mais en sep­tem­bre 2004, il déci­da de se retir­er de l’art religieux, non pas par manque de tra­vail, mais pour se con­sacr­er à une autre forme d’art qui inter­pelait sa créa­tiv­ité : le nu. Tout au long de sa car­rière, à tra­vers les com­man­des d’art religieux, il réal­isa plusieurs autres types d’œuvres comme des œuvres pop­u­laires, con­tem­po­raines ou encore des cou­ples de nus. Ces œuvres étaient une source de lib­erté, car il pou­vait laiss­er aller sa créa­tiv­ité. Par­fois, l’œuvre était achevée au bout de 3 ans. Que d’heures il pas­sa dans les livres d’anatomie pour les artistes et dans ses pen­sées assez pro­fondes! Il se reti­rait com­plète­ment du monde. Nos cris, nos rires d’enfants, nos dis­putes, nos « Papa, on te par­le! », tombaient dans l’ignorance la plus com­plète. L’artiste créait, la future œuvre pre­nait forme dans son esprit.

Les médias ont fait de nom­breux reportages sur les Bour­gault. Mon frère et moi étions des enfants, impres­sion­nés par les caméras braquées sur notre père, par les touristes émus de ses œuvres, par les délé­ga­tions religieuses louangeant son tal­ent de créa­teur et par tout ce que notre papa pou­vait faire sor­tir des gros morceaux de bois inan­imés. Nous avons passé des heures à le regarder tra­vailler, à enlever les copeaux de bois sur les ébauch­es, à humer la douce odeur du bois. Nous avons partagé la vie d’un homme extra­or­di­naire, pour qui notre admi­ra­tion et notre amour sont sculp­tés au plus pro­fond de nos êtres. »

Jacques Bour­gault sculpte un Cou­ple amoureux dans son ate­lier en 1989. La pièce fut ven­due à un client de Bal­ti­more.

Jacques Bour­gault laisse dans le deuil son épouse Rachel Caron, leur fille Karine et leur garçon Sébastien, ain­si que de nom­breux mem­bres de sa famille. Nous leur présen­tons toutes nos con­doléances.

Je remer­cie Karine Bour­gault de m’avoir don­né accès au témoignage  qu’elle a fait au décès de son père ain­si que pour les pho­tos inclus­es dans cet hom­mage. Je remer­cie égale­ment le frère de Jacques, André-Médard Bour­gault, pour sa disponi­bil­ité lors de mes entre­vues sur les sculp­teurs héri­tiers des Bour­gault.

Jacques Bour­gault a été le sujet d’un reportage dans le cadre de l’Inventaire du pat­ri­moine immatériel religieux du Québec (IPIR) de l’Université Laval sous le titre « Jacques Bour­gault, sculp­teur d’art sacré », 1er juin 2011.

 

** Cette sculp­ture fait main­tenant par­tie de la col­lec­tion du Musée des anciens Cana­di­ens. 

Toutes les pho­tos sont tirées de l’al­bum de l’artiste, sauf l’im­age à la Une qui provient de la chaire de recherche du Cana­da en pat­ri­moine eth­nologique de l’U­ni­ver­sité Laval. 

10 commentaires

  1. Bon­jour ! Com­ment faire éval­uer une scène de chas­se sculp­tée par Jacques Bour­gault de 1974. Mer­ci!

    1. Mer­ci de votre intérêt. Pour éval­uer une sculp­ture de Saint-Jean-Port-Joli, je vous sug­gère de con­sul­ter un anti­quaire en qui vous faites con­fi­ance. Il y en a plusieurs sur les rues Saint-Paul et Saint-Pierre à Québec et dans d’autres villes.

      1. Lorsque la pièce est intéres­sante, un don à un musée pour­rait être avan­tageux. En plus d’un reçu pour don, le musée men­tion­nerait le nom du don­neur ou de la dona­trice lors de l’u­til­i­sa­tion de l’oeu­vre dans une expo­si­tion ou une pub­li­ca­tion.

  2. Cet arti­cle nous fait entr­er dans la vie de l’artiste, com­pren­dre son long chem­ine­ment vers un art qui a mar­qué son enfance et con­tre lequel il sem­ble avoir réa­gi jusqu’à ce que son tal­ent et sa volon­té d’ap­par­te­nance prenne toute la place.
    Un réc­it comme celui-là nous per­met de mieux com­pren­dre tout ce qui se cache der­rière la vie du sculp­teur.

  3. Mer­ci Mon­sieur Blanchette pour votre très bon arti­cle. Je suis touché par votre témoignage et celui de sa fille car j’ai fait sculpter 4 cor­pus et 4 madones à l’en­fant par Jacques Bour­gault en 1992, quelques années seule­ment avant qu’il n’ori­ente son tra­vail vers le nu (1994). J’au­rais des pho­tos à vous envoy­er et un témoignage plus com­plet si vous me don­niez votre adresse cour­riel. Mes ami­tiés.

    1. Mer­ci M. Olivi­er pour votre intérêt et pour les pho­tos que vous m’avez envoyées. C’est tou­jours agréable de voir les sculp­tures d’artistes sur lesquels on a fait de la recherche.

  4. Mer­ci M. Aubry pour cette infor­ma­tion pré­cieuse. Si jamais vous avez la chance de pren­dre des pho­tos de ces œuvres, cela enrichi­rait notre doc­u­men­ta­tion. Je vous remer­cie beau­coup.
    Jean-François Blanchette

  5. À l’église Très-Sainte-Trinité de Rock­land, Ontario on est fier de pos­séder trois œuvres de Jacques Bour­gault — Le Christ en croix, La Croix de pro­ces­sion et sous l’au­tel d’of­fice deux fresques représen­tant le pain de la Parole et le pain de l’Eucharistie.

  6. Un grand mer­ci mr Blanchette pour ce reportage je suis un de ces neveux et croyez moi ça me touche beau­coup de vous lire Jacques fut pour moi plus qu’un oncle il était un ami avec qui je partageais de grande dis­cus­sion qui vont me man­quer .
    Mes sou­venirs res­teront impériss­ables pour cet homme d’une grande âme mer­ci encore
    André Hudon

    1. Mer­ci mon­sieur Hudon de vos com­men­taires. Je n’ai mal­heureuse­ment pas con­nu votre oncle, c’est bien dom­mage. Je m’in­téresse aux héri­tiers de Médard Bour­gault et je pen­sais qu’il fal­lait ren­dre hom­mage à cet artiste qui a fait sa mar­que au Québec et à l’é­tranger. André-Médard m’avait beau­coup par­lé de lui car Jacques était env­i­ron un an plus vieux et ils jouaient ensem­ble enfants. Plus tard, comme sculp­teur, André-Médard m’a dit qu’il avait beau­coup appris de son frère. De plus, je trou­vais qu’il était impor­tant de partager le beau témoignage de sa fille Karine, afin d’avoir une per­spec­tive plus intime de l’homme et de sa famille.
      Croyez-moi, la recherche pour l’écri­t­ure d’un arti­cle nous per­met d’en­tr­er en con­tact avec des gens fort généreux et c’est pour moi une belle récom­pense.

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