La route des phares du Québec maritime

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16 novem­bre 2018 |

Quar­ante-sept phares, comme « des lam­pes perçant la nuit » sur « un paysage d’ailes et de vagues », selon les beaux vers du poète Gatien Lapointe dans son Ode au Saint-Lau­rent, guident depuis 1809 les navires dans les eaux gigan­tesques, sournois­es et pour­tant majestueuses du plus grand fleuve cana­di­en. Égrenés sur les deux rives du Saint-Lau­rent, entre l’Île-aux-Coudres et l’Île d’Anticosti qui en boucle le par­cours, ces phares ont été « les guides immuables qui ont per­mis de sécuris­er et d’apprivoiser ce fleuve aux mille dan­gers ».

Lise Cyr cap­ti­vant son audi­toire. Pho­to : René Bouchard

Dans le cadre des Con­férences Des­jardins organ­isées par les Loisirs Mont­calm de Québec, notre col­lègue Lise Cyr, eth­no­logue spé­cial­isée dans le pat­ri­moine mar­itime, a con­vié, le 11 novem­bre dernier, plus de 70 per­son­nes à une vis­ite fasci­nante de ces sen­tinelles mar­itimes érigées depuis plus de deux siè­cles en « tours de garde » et « dia­mants du Saint-Lau­rent ». Son par­cours de vis­ite, pour le plus grand plaisir de l’auditoire qui buvait ses paroles, a per­mis à la con­féren­cière d’aborder d’une manière très vivante et péd­a­gogique des thèmes comme l’histoire, l’architecture, les anec­dotes, les par­tic­u­lar­ités et la vie des gar­di­ens de phare et de leur famille.

Page cou­ver­ture du Jour­nal de Lau­rence Dubé Lind­say, édité par son fils Joce­lyn en 2018. Fred­dy Lind­say, le mari de Lau­rence et père de Joce­lyn, a été le dernier gar­di­en du phare avant son automa­ti­sa­tion. Avec lui s’éteignaient qua­tre généra­tions de gar­di­ens de phares dans une même famille, fait unique au Cana­da.

Pointe-à-la-Renom­mée, Pointe-au-Père, Bon-Désir, Cap‑d’Espoir, Pot à l’Eau-de-Vie sont pour les eth­no­logues autant de noms de phares, par­mi d’autres, qui réson­nent d’échos légendaires et de réc­its met­tant en vedette des per­son­nages hors du com­mun. En par­ti­c­uli­er les femmes. Nom­bre d’entre elles nous ont en effet lais­sé des témoignages émou­vants, comme le Jour­nal d’une femme de gar­di­en de phare de Lau­rence Dubé Lind­say, écrit à l’Île Verte en 1934. Lise Cyr retrace régulière­ment le des­tin sin­guli­er de ces per­son­nes dans sa Chronique: femmes et phares, pub­liée dans les pages du Bul­letin des amis des phares (http://www.routedesphares.qc.ca/). Des femmes donc, mais aus­si des con­tre­bandiers. La toponymie des lieux parse­mant les caches de l’estuaire sur la rive sud du fleuve, tels l’Anse à Mouille-Cul, l’Anse à la Can­istre, le Sen­tier du con­tre­bandi­er, l’Îlet au Fla­con, sont aujourd’hui autant de reli­quats évo­ca­teurs de leurs activ­ités aus­si lucra­tives que risquées.

Le pho­tographe Patrick Mat­te. Pho­to : René Bouchard

Automa­tisés dans les années 1970 et 1980, ces phares ont été rem­placés, explique Lise Cyr, par des tours à claire-voie et des sys­tèmes de géolo­cal­i­sa­tion sophis­tiqués. S’ils con­stituent aujourd’hui un pat­ri­moine bien sou­vent à la dérive (Le Devoir, 01-11-2017), ils n’en restent pas moins, pour­suit-elle, des amers qui ser­vent tou­jours de référence aux pêcheurs côtiers ain­si qu’aux plai­sanciers. Ils sont devenus égale­ment de nos jours des lieux récréo­touris­tiques qui ont offert, au fil du temps, à des clien­tèles en mal de pat­ri­moine et de des­ti­na­tion nature, des lieux d’interprétation, des auberges, des restau­rants et des chalets locat­ifs très prisés.

Beau­coup de citoyens mili­tent active­ment de nos jours en faveur de la con­ser­va­tion de ces phares. Le pho­tographe Patrick Mat­te, dont la con­féren­cière a présen­té plusieurs pho­tos au cours de son exposé, a conçu à leur sujet un pro­jet orig­i­nal d’affiche des 45 phares de l’estuaire et du golfe Saint-Lau­rent , qu’il offre sous forme de finance­ment par­tic­i­patif comme moyen d’appui pour la préser­va­tion de ces mon­u­ments irrem­plaçables (chasseurdephares.com). Il s’agit d’un coup de cœur exem­plaire et d’un effort de guerre inouï, qui lui aura demandé onze années à par­courir plus de 25 000 km pour capter 28 000 pho­tos dont les plus belles et représen­ta­tives illus­trent son affiche.

« Phares du Saint-Lau­rent », affiche de Patrick Mat­te. Pho­to : Patrick Mat­te

Bra­vo et mer­ci à Lise Cyr et Patrick Mat­te pour leur mobil­i­sa­tion citoyenne en faveur d’un pat­ri­moine excep­tion­nel.

René Bouchard
Admin­is­tra­teur
Société québé­coise d’ethnologie

 

En cou­ver­ture : Phare de l’Île Verte. Pho­to : Patrick Mat­te