Au revoir Monsieur Bureau

Partager:

27 septembre 2016 | Au revoir Monsieur Bureau

Claude Cor­riveau, eth­no­muséo­logue et Fri­da Fran­co, design­er

Un homme d’exception nous a quit­tés le 10 sep­tem­bre dernier, mon­sieur René Bureau, à l’âge de 101 ans et deux mois. Son his­toire hors du com­mun est un exem­ple de courage, de résilience, de per­sévérance, de vision et d’émerveillement pour la vie. Né le dimanche soir du 4 juil­let 1915, René Bureau grandit dans le quarti­er Saint-Jean-Bap­tiste, un secteur de la ville de Québec qu’il chéri­ra tout au long de sa vie.

Au cours de sa jeunesse, affligé d’un bégaiement pronon­cé, il fréquente d’abord l’école parois­siale des Sœurs de la Char­ité, puis celle des Frères des écoles chré­ti­ennes. Bien qu’il excelle en plusieurs matières, ses résul­tats cat­a­strophiques en math­é­ma­tiques l’amènent à aban­don­ner l’école, en 1932, avant l’obtention d’un diplôme d’études. « Mon cer­ti­fi­cat d’instruction religieuse reçu lors de ma com­mu­nion solen­nelle a tou­jours été impor­tant pour moi, car il con­stitue le seul diplôme offi­ciel que j’ai reçu au cours de ma vie », rap­pelle-t-il à maintes repris­es avec humour.

Avide de décou­vertes, René Bureau prend plaisir à lire divers ouvrages. Prof­i­tant des vacances esti­vales à la cam­pagne avec sa famille à Cap-Rouge en 1932, il étudie des rudi­ments de botanique en con­sul­tant le récent livre du père Louis-Marie Lalonde sur la flo­re de la province de Québec. C’est sur la plage de Cap-Rouge qu’il décou­vre de la pyrite de fer. Cette bril­lante trou­vaille mar­que ses débuts comme jeune nat­u­ral­iste.

Peu à peu, il se pas­sionne pour l’étude des minéraux, des roches et des fos­siles. Avec des bouts de planch­es, des caiss­es vides en bois et quelques objets hétéro­clites, il amé­nage un lab­o­ra­toire dans la cave du loge­ment famil­ial et se pro­cure de la lit­téra­ture sur la géolo­gie et les sci­ences naturelles, puis il fréquente des cer­cles de jeunes nat­u­ral­istes, tout en étab­lis­sant des liens avec des géo­logues et des inspecteurs des mines. René Bureau évoque :

Plusieurs de mes copains, entre autres ceux qui fréquen­taient le Sémi­naire de Québec, sachant à quoi j’employais mon temps et voy­ant aus­si mon âge, me dis­aient que je per­dais mon temps; que si je n’avais pas fait le cours clas­sique, je n’i­rais nulle part dans le domaine des sci­ences, que toutes les portes me seraient fer­mées là où j’i­rais frap­per pour obtenir de l’emploi. Mais pour ma part, je pen­sais dif­férem­ment. Je m’é­tais con­va­in­cu, tout au moins, j’es­sayais de me con­va­in­cre que je pour­rais quand même appren­dre bien des choses en his­toire naturelle sans l’aide des math­é­ma­tiques. Pour le reste et l’avenir, on ver­rait bien avec les années…

C’est à l’âge de 22 ans que le jeune René Bureau, auto­di­dacte, entre­prend sa car­rière comme nat­u­ral­iste avec l’obtention d’un poste d’assistant aux géo­logues au Ser­vice des mines. Pen­dant plus de soix­ante ans, il se con­sacr­era à l’é­tude des sci­ences naturelles, surtout à la minéralo­gie et à la paléon­tolo­gie, et réalis­era plusieurs pro­jets impor­tants.

À compter de 1937, ce nat­u­ral­iste pas­sion­né œuvre à la préser­va­tion des fos­siles de Miguasha, en Gaspésie, qui devient en 1976 un Parc nation­al, recon­nu Pat­ri­moine mon­di­al de l’UNESCO depuis 1999. D’ailleurs, une falaise et deux espèces fos­siles – un pois­son et un scor­pi­on – y por­tent le nom de René Bureau. livre_rene_bureau

Par­al­lèle­ment à son engage­ment majeur pour le développe­ment de ce lieu, il tra­vaille pen­dant 39 ans à l’U­ni­ver­sité Laval, soit de 1940 à 1979. Il con­tribue de façon impor­tante au développe­ment de la col­lec­tion de géolo­gie qui est employée notam­ment par des cen­taines d’étudiants chaque année.

En hom­mage à son tra­vail, comme con­ser­va­teur adjoint et con­ser­va­teur, le musée du Départe­ment de géolo­gie et de génie géologique est nom­mé Musée de géolo­gie René-Bureau en 2000.

À la recherche de ses racines, René Bureau devient en 1961 prési­dent et cofon­da­teur de la Société cana­di­enne de généalo­gie (Québec), nom­mée aujourd’hui Société de généalo­gie de Québec. Son tra­vail excep­tion­nel en géolo­gie et en généalo­gie est couron­né à maintes repris­es par des hon­neurs spé­ci­aux, dont la Médaille de l’Assemblée nationale du Québec à l’automne 2015. René Bureau est aus­si un amoureux de la langue française et de l’écriture.

Tout au long de sa vie, cray­on à la main, il s’appliquera à not­er les événe­ments du quo­ti­di­en et les ren­con­tres for­tu­ites ou encore à relater l’actualité, tout en inven­tant des his­toires et des poèmes. Auteur de plusieurs écrits, il est aus­si « archiviste » et accu­mule pen­dant de nom­breuses décen­nies divers doc­u­ments, pho­togra­phies et objets qui témoignent de la vie à Québec. L’un des objets les plus inusités qu’il a sauve­g­ardés est un bis­cuit à thé de la fameuse boulan­gerie Hethring­ton de la rue Saint-Jean. « J’ai sauve­g­ardé ce bis­cuit après l’in­cendie de la Boulan­gerie Hethring­ton. Nous en avions encore à la mai­son et j’ai décidé d’en con­serv­er un, car les bis­cuits Hethring­ton étaient très pop­u­laires. On en dis­tribuait un peu partout, dans les cou­vents et les col­lèges », rap­pelle-t-il. 

Plusieurs des doc­u­ments et objets qu’il a pré­cieuse­ment sauve­g­ardés sont main­tenant con­servés aux Archives de la Ville de Québec et de l’Université Laval. C’est d’ailleurs l’attachement de mon­sieur Bureau pour le quarti­er Saint-Jean-Bap­tiste qui nous a per­mis de le ren­con­tr­er pour la pre­mière fois. C’était à l’automne 2008. Nous effec­tu­ions alors des enquêtes pour con­serv­er le pat­ri­moine immatériel de ce quarti­er pour le Comité du pat­ri­moine de Saint-Jean-Bap­tiste. Dès notre pre­mière ren­con­tre, Mon­sieur Bureau s’est révélé un infor­ma­teur hors du com­mun, de par l’abondance de ses sou­venirs, ses expéri­ences et des détails qui y étaient rat­tachés. Tout au long de nos ren­con­tres, qui furent par bon­heur nom­breuses et fort enrichissantes, ce mer­veilleux con­teur, à la mémoire incroy­able, nous fai­sait décou­vrir divers­es tranch­es de l’histoire du faubourg Saint-Jean, à tra­vers ses yeux d’enfant, d’adolescent et d’adulte. À ceci s’ajoutaient ses nom­breux écrits, pho­togra­phies et même cer­tains objets per­me­t­tant de faire revivre l’histoire du quarti­er au fil du temps.

En hom­mage à sa généreuse con­tri­bu­tion pour la con­nais­sance de l’histoire de ce quarti­er, le Comité du pat­ri­moine de Saint-Jean-Bap­tiste pub­lie en 2010 une par­tie de ses mémoires : Je suis né en 1915 à Saint-Jean-Bap­tiste. Cette pub­li­ca­tion de 140 pages regroupe des témoignages inédits et rem­plis d’émotions de René Bureau, tout en étant abon­dam­ment illus­trés. Mon­sieur René Bureau vient de faire sa dernière révérence. Sans pré­ten­tion, il a lais­sé une empreinte indélé­bile, tant par son tra­vail en sci­ences naturelles, en généalo­gie qu’en pat­ri­moine. Sa générosité, sa bon­té, son ent­hou­si­asme, sa curiosité et sa pas­sion de trans­met­tre des con­nais­sances sont une source d’inspiration. Nous enten­dons réson­ner sa voix pour nous dire : Si vous avez besoin de quelque chose, d’un ren­seigne­ment, n’hésitez pas à venir me voir… Qui sait? Je pour­rais peut-être vous aider!    

 

Image à la Une : René Bureau, l’été dernier, alors qu’il fêtait ses 100 ans. Pho­tothèque Le Soleil, Erick Lab­bé

 

Un commentaire

  1. Mer­ci pour votre his­toire au sujet de M. R. Bureau.
    My Great­Great­Great Grand­Fa­ther John Hethring­ton found­ed the Hethring­ton bak­ery in 1842. I was born in Mon­tre­al in 1962, but by then the Bak­ery was sold to West­on’s. I’ve heard many myths over the years about the bak­ery. I’m so glad to hear that our cook­ies we so well loved. . This was a touch­ing way for my fam­i­ly to be hon­oured. Thank you M Rene Bureau. Rest in peace.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.