Présentation
Cet article web est le troisième d’une série qui porte sur les ateliers de sculpture sur bois des trois frères Bourgault, Médard (1897–1967), André (1898–1958) et Jean-Julien (1910–1996) (1). Ces derniers ont fait l’objet d’un article publié dans la revue Rabaska en 2020 (2). Le premier article web « Médard Bourgault, maître d’art, 1930–1967 » se trouve ici. Le deuxième, « L’École de sculpture sur bois Médard & Jean‑J. Bourgault, 1940–1942 », ici.
Introduction
Le premier métier d’André Bourgault est celui de marin. Il navigue pendant une quinzaine d’années sur les barges des Grands Lacs et sur les navires du Saint-Laurent. Son frère Médard qui se consacre à la sculpture à temps plein depuis 1930 le rencontre par hasard à Québec en 1931. Comme les commandes de sculptures sont nombreuses, il lui demande de venir sculpter avec lui et Jean-Julien. Un petit hangar derrière la maison de Médard leur sert d’atelier. Le travail progresse et les frères se partagent le travail : « André, après un peu de pratique, vint à bout de faire une figurine. Alors ça alla bien. Au bout de quelque temps alors que j’étais à remplir une commande pour la Handicrafts Guild [1932], je fis faire une commande par mes frères, pour chez Holt & Renfrew de Québec. C’étaient de petites pièces de paysans (3). » Leur père Magloire, qui avait été très critique de ce nouveau de métier de Médard, réalise que ses fils se tirent bien d’affaire et qu’ils ont besoin d’un meilleur endroit pour travailler. En 1933, il donne à chacun cent dollars pour la construction d’un atelier entre sa maison et celle de Médard (4).
Les frères sculptent ensemble pendant quelques années, puis André quitte Saint-Jean-Port-Joli en 1935 pour aller travailler avec les frères Bastien, spécialistes d’artisanat autochtone au Village-Huron, aujourd’hui Wendake, près de Loretteville. Les frères Bourgault connaissent bien cette entreprise. En 1934 et 1935 (5), ils avaient eu d’eux plusieurs commandes de petites sculptures totalisant plus de mille pièces (6). Un catalogue de la compagnie montre les produits que les Bastien vendent. Des figurines en bois des Bourgault y figurent (7). André semble avoir influencé un sculpteur de Loretteville, Rosaire Audet (8), qui aura son propre atelier et produira des figurines dans le style d’André. André marie Cécile Lainé, huronne-wendat, à l’église Notre-Dame-de-Lorette de Wendake le 5 février 1936. Il revient la même année à Saint-Jean-Port-Joli avec sa nouvelle épouse. Comme André est un homme indépendant, personnellement et socialement, ils s’installent à l’extrémité ouest du village, au Port Joly.
Le style d’André Bourgault
André Bourgault consacre toute sa carrière à l’art paysan, un style que ses deux frères vont peu à peu délaisser. Il sculpte des scènes de la vie rurale traditionnelle, de chasse et de pêche, les travaux des cultivateurs et des fermières, la vie de marin et des personnages autochtones. Il développe avec son beau-frère, Auguste Lainé, le concept de lampes surmontant un foyer devant lequel se bercent un bon vieux et sa vielle, avec leur chien et leur chat à leurs pieds (9). Ce type de lampe, par la suite accompagnée de diverses scènes de la vie traditionnelle paysanne, sera repris avec goût et variété par l’atelier de Paul-Émile Caron et d’autres. Il deviendra un objet type de la production locale.
André Bourgault est un habile sculpteur au canif qu’il manipule avec une habileté rare. Les médias aiment bien mentionner que la dextérité du maître sort de sa tête, de ses mains et de ce seul outil. Ils associent cette technique à toute la production de Saint-Jean-Port-Joli, ce qui pourrait être un excès d’interprétation, quoique certains sculpteurs préfèrent le couteau : « Ils en possèdent plusieurs avec des lames différentes, selon les besoins. La souplesse de leurs gestes étonne les visiteurs (10). » Par contre, les autres ont une variété d’outils à leur disposition et s’en servent pour accomplir les diverses étapes de production d’une pièce (11).
L’atelier d’André Bourgault
Dès son retour à Saint-Jean-Port-Joli en 1936, André accepte dans son atelier des mains habiles — jeunes femmes et jeunes gens — qu’il encourage à produire des pièces pour un marché sans cesse croissant. Ils y trouvent, sinon un métier, du moins un travail d’appoint fort apprécié. Chacun sculpte avec raffinement et fins détails, les uns réussissant mieux que les autres. Ils signent souvent leurs pièces de leur nom et André applique parfois un tampon sous la base des figurines « Élève André Bourgault (12) ». En plus d’être un élément de fierté pour le maître et l’apprenti, cela est évidemment une approche gagnante pour la vente, car on veut du Bourgault. Un programme d’aide pour la jeunesse chômeuse favorise les vétérans qui veulent apprendre un métier et retourner sur le marché du travail. Certains apprentis d’André y ont droit à partir de 1944 (13).
L’atelier-école d’André Bourgault du Port-Joly qui était alors en pleine effervescence avec une vingtaine d’apprentis est détruit par le feu en 1945. Il y perd toute sa production et ses archives, ce qui rend difficile la recherche sur ces dix années de belle production. André reconstruit son atelier tout près de ses frères dès 1946.
Depuis les débuts, on peut voir des numéros sur les pièces d’André. On standardise la production en répétant les œuvres afin de répondre à la demande de ce que le marché préfère. C’est d’ailleurs ce que Marius Barbeau avait suggéré à Médard en 1933. Les journaux de l’époque mentionnent la qualité des travaux qui sortent de Saint-Jean-Port-Joli : « Des milliers de statuettes sont sorties des mains des Bourgault. Elles sont dispersées aux quatre coins de l’Amérique. Aucune ne porte le caractère banal des travaux en série (14). » Nombreux sont les élèves d’André Bourgault. Parmi eux, on trouve Louis Boucher, Gertrude Bourgault, Lucien Bourgault, Agnès Dubé, Simon Dubé, Gérard Fortin, les jumelles Ghislaine et Marguerite Gagnon, Marcel Guay, les sœurs Régina et Lucie Normand et bien d’autres.
La valeur de l’artisanat produit à Saint-Jean-Port-Joli est imposante. Jean-Marie Gauvreau rapporte que la seule compagnie Robert Simpson Co. Ltd de Toronto a commandé pour 37 260 $ de pièces d’artisanat de la région entre 1940 et 1943 (15). En valeur de 2020, cela équivaut à environ 600 000 $ pour ce seul marchand (16).
Le Centre d’artisanat Enr., 1953–1958
André est malade et il ne peut pas s’occuper de ses affaires. En 1953, il laisse le contrôle de son entreprise et les droits de vente de sa production à un entrepreneur local, Maurice Leclerc. L’atelier prend le nom de Centre d’artisanat Enr (17). André décède, frappé par une voiture, le 31 janvier 1958. Sa grande collection de pièces non vendues demeure la propriété de Maurice Leclerc qui fonde le Musée des Anciens Canadiens (18) avec son épouse Marguerite Robichaud qui avait appris la sculpture avec André. Maurice Leclerc vendra le Centre d’artisanat Enr. à Berthier Beauregard en 1978 (19).
Épilogue. La notoriété d’André Bourgault
L’influence d’André Bourgault est grande, car il a formé de nombreux apprentis qui ont pu vivre de ce métier ou en tirer un revenu d’appoint. Il a fait œuvre de mémoire en racontant dans le bois la vivacité de la vie traditionnelle des Québécois sur terre et en mer. André Bourgault a eu onze enfants avec Cécile Lainé. Parmi les garçons qui ont pratiqué la sculpture, Roger-André deviendra un grand sculpteur de renom, versatile tant dans la sculpture traditionnelle que moderne (20).
Références
1. Je tiens à remercier André-Médard Bourgault, Nicole Bourgault, Pierre Bourgault, Marcel Guay, Jocelyn Caron, Andrée Lamarre et Richard Dubé pour leur collaboration lors de mes recherches.
2. Jean-François Blanchette, « Les Trois Bérets et les ateliers de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli (1930–1967) » Rabaska, vol. 18 (2020) p. 11–42).
3. Médard Bourgault, Journal, Saint-Jean-Port-Joli, Corporation Maison Musée Médard-Bourgault, 1991, 114 p. [Miméo, tirage limité], p. 38.
4. Cet atelier a été détruit en décembre 2016 : « Un grand symbole s’en est allé… » https://medardbourgault.org/2016/12/19/un-symbole-sen-est-alle/amp/, consulté le 20 novembre 2020. Voir aussi Archives de la Côte-du-Sud, désormais ACS, Fonds Jean-Julien Bourgault, F215/1/4, Notes manuscrites autobiographiques.
5. Médard raconte dans son Journal, op. cit., p. 38, que c’est en 1932 et 1933. Il a par erreur décalé ces dates comme celle de sa rencontre avec Marius Barbeau. Voir la référence à la correspondance dans la note suivante.
6. ACS, Fonds Médard Bourgault, F050/1/4, Correspondance, Médard Bourgault à Marius Barbeau le 14 avril 1935.
7. Catalogue découvert par Richard Dubé. Collection privée.
8. La connaissance de cet artiste est due à une exposition organisée par Charles Breton-Demeule en 2013. Voir Isabelle Chabot, « Rosaire Audet : un sculpteur prolifique oublié », https://www.quebechebdo.com/culture/98191/rosaire-audet-un-sculpteur-prolifique-o-3398378/, consulté le 20 novembre 2021.
9. Communication personnelle d’André-Médard Bourgault.
10. Alain Duhamel, Gens de bois, Saint-Jean-Port-Joli, Éditions Port-Joly, 1975, illustrations de Benoi Deschênes [97 p.], p. 75
11. Sur le sujet de la sculpture sur bois, on lira avec intérêt Benoi Deschênes, La gouge magique, Saint-Jean-Port-Joli, éditions Port-Joly, 1988, 243 p.
12. On trouvera de nombreux exemples dans la collection du Musée de Charlevoix.
13. Angéline Saint-Pierre, André Bourgault, sculpteur, Saint-Jean-Port-Joli, La Plume d’Oie, 1996, p. 42.
14. « Les Bourgault, chantres de la paysannerie », La Patrie, 22 septembre 1940.
15. Archives du CEGEP du Vieux-Montréal, Fonds de l’École du meuble, EM-10.7.12, Lettre de Jean-Marie Gauvreau à Oscar Drouin, 21 octobre 1943.
16. La valeur varie selon qu’on utilise 1940 ou 1943 comme valeur de référence. Voir https://www.banqueducanada.ca/taux/renseignements-complementaires/feuille-de-calcul-de-linflation/ consulté le 20 novembre 2021.
17. Catalogue Collection d’œuvres de l’Association des artisans de Saint-Jean-Port-Joli, La Compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Limitée, 1973, non paginé. Voir la page d’André Bourgault.
18. Ce musée raconte l’histoire de la sculpture à Saint-Jean-Port-Joli. On peut y admirer près de 400 œuvres d’une centaine de sculpteurs.
19. Les sculptures produites par la suite porteront l’étampe « Centre d’artisanat de St-Jean-Port-Joli fondé par André Bourgault 1936 » sous leur base.
20. Angéline Saint-Pierre, André Bourgault, op. cit., p. 73–87.
Crédits
Recherche et rédaction : Jean-François Blanchette
Révision : Louise Décarie
Mise en page : Marie-Ève Lord
Illustrations : tel qu’indiqué aux bas des vignettes
Image à la une : André Bourgault, L’Angélus, tilleul, 35,5 x 91,5 cm, 1950. Musée des Anciens Canadiens. Photo : Jean-François Blanchette
4 commentaires
En effet, toujours intéressant et combien utile de pouvoir se référer à un expert, c’est-à-dire, dans le cas présent, celui qui a consacré plusieurs années de recherche pour en arriver cette clairvoyante synthèse. Merci JFB
Monsieur Blanchette,
C’est toujours un plaisir de lire vos articles qui suscitent la curiosité d’en connaître un peu plus sur l’histoire et sur le patrimoine.
Merci, merci.
Très bel article Jean-François. J’ai hâte d’en lire davantage.
Magnifique, j’ai adoré vous lire c’était très intéressant……
Merci …..