L’anthropologue et folkloriste Marius Barbeau est né à Sainte-Marie-de-Beauce en 1883. Son père était cultivateur et maquignon, et sa mère, musicienne. Après son cours classique au Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, il poursuit des études de droit à l’Université Laval et devient avocat. Puis, grâce à la bourse Cecil-Rhodes, il a l’opportunité de partir étudier à Oxford, en Angleterre. C’est à ce moment qu’il se tourne vers l’anthropologie et qu’il entreprend ses recherches sur les communautés autochtones d’Amérique du Nord. Pendant les vacances d’été, il se rend à Paris et fréquente l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), où il se lie d’amitié avec Marcel Mauss. De retour au Canada en 1911, il est employé à titre d’anthropologue par la Commission géologique du Canada (qui devient le Musée national du Canada à partir de 1927). Il conserve ce poste jusqu’à sa retraite en 1948.
Un événement déterminant dans la carrière de Marius Barbeau ainsi que pour le développement de la discipline au pays a lieu à New York en décembre 1913, lorsque celui-ci fait la rencontre de Franz Boas. Anthropologue américain d’origine allemande, Boas l’interroge sur les contes et les chansons populaires des Français d’Amérique. Dès lors, Barbeau, qui s’était jusque-là consacré à l’étude des cultures traditionnelles autochtones, élargit son terrain de recherche. Il devient le premier à s’intéresser scientifiquement à la littérature orale et à la culture matérielle du Canada français. Son travail de terrain, auquel il consacrait jusqu’à cinq mois par année, lui a permis de recueillir tout au long de sa carrière environ 13 000 chansons et plus de 300 contes populaires.
Au-delà de la constitution et de l’étude de cet imposant corpus qui lui ont valu le statut de découvreur de l’oralité canadienne-française, le legs de Marius Barbeau s’appuie aussi sur le rôle qu’il accordait au terrain comme fondement de sa démarche. À ses étudiants, il enseignait l’importance de se préparer avant le départ sur le terrain et la rigueur nécessaire à appliquer lors de l’enquête. Cette approche demeure une caractéristique de l’ethnologie enseignée et pratiquée aujourd’hui. Auteur de plus de soixante ouvrages et d’une centaine d’articles destinés à des publics variés, Barbeau a participé à une large diffusion des connaissances sur le patrimoine. Soulignons également son engagement dans le domaine connexe de la muséologie et sa contribution à la documentation des techniques artisanales. En fait, Barbeau a joué un rôle de pionnier sur le plan de la collecte, de la conservation, de l’étude, de l’enseignement, de la médiation et de la défense du patrimoine au Canada.
Scientifique reconnu et excellent orateur, Marius Barbeau était membre de nombreuses associations, comme l’American Folklore Society dont il a été le président et à l’intérieur de laquelle il a fondé les sections canadiennes. Il a été élu membre de la Société royale du Canada en 1916. Il a également contribué à la fondation de l’Académie canadienne-française et de la Société historique du Canada. Dans les années 1940, il est professeur invité dans différentes universités et devient professeur agrégé à l’Université Laval en 1945, formant ainsi de nombreux jeunes chercheurs au travail de terrain.
Au cours de sa carrière prolifique, Barbeau reçoit plusieurs distinctions témoignant de la valeur de ses recherches et de son expertise. Par exemple, il obtient trois fois le prix David (aujourd’hui remplacé par les Prix du Québec) pour ses ouvrages Indian Days in the Canadian Rockies (Macmillan, 1923), The Downfall of Temlaham (Macmillan, 1928) et Saintes artisanes : I. Les brodeuses (Fides, 1944). On lui décerne la Médaille Léo-Parizeau de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS) ainsi que trois doctorats honorifiques (Université de Montréal, Université Laval et Université Oxford). En 1967, Barbeau est nommé compagnon de l’Ordre du Canada, la plus haute distinction civile au pays, pour sa contribution exceptionnelle à l’étude du folklore et de l’anthropologie. Il décède à Ottawa en 1969, laissant derrière lui un héritage scientifique imposant.
Crédits
Rédaction : Laurence Provencher-St-Pierre
Révision : Louise Décarie
Image à la une : Marius Barbeau rédigeant devant l’ange thuriféraire sculpté par Louis Jobin et acquis par Barbeau en 1925 à la boutique de l’artiste de Sainte-Anne-de-Beaupré pour le Musée national de l’homme.
Quelques références
Barbeau, Marius, « Contes populaires canadiens », The Journal of American Folkore, vol. 29, no 111, janvier-mars 1916, 154 p.
Barbeau, Marius, « Contes populaires canadiens. Seconde série », The Journal of American Folkore, vol. 30, no 115, janvier-mars 1917, 160 p.
Barbeau, Marius, Indian Days in the Canadian Rockies, Toronto, Macmillan, 1923, 208 p.
Barbeau, Marius, Totem Poles on the Gitksan, Upper Skeena River, British Columbia, Ottawa, National Museum of Canada, Bulletin no 61, 1929.
Barbeau, Marius, Saintes artisanes : I. Les brodeuses, Montréal, Éditions Fides, « Cahiers d’art Arca » ii, [1944].
Barbeau, Marius, Saintes Artisanes : II. Mille petites adresses, Montréal, Éditions Fides, « Cahiers d’art Arca » iii, [1946], 157–16 p.
Barbeau, Marius, Romancero du Canada, Montréal, Beauchemin, 1937, 254 p.
Barbeau, Marius, Le rossignol y chante. Première partie du répertoire de la chanson folklorique française au Canada, Ottawa, Musée national, « Bulletin » 175, 1962, 485 p.
Pour aller plus loin
« Présence de Marius Barbeau », Rabaska, volume 13, 2015. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2015-v13-rabaska02149/
Ferey, Vanessa. « Charles-Marius Barbeau et l’étude des collections ethnographiques franco-américaines d’Europe de l’Ouest (1931–1956) », Rabaska, volume 12, 2014, p. 89–107. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2014-v12-rabaska01535/1026785ar/
Lahoud, Pierre. « Barbeau, le photographe-enquêteur », Rabaska, volume 14, 2016, p. 65–78. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2016-v14-rabaska02663/1037448ar.pdf
Un commentaire
Merci pour cet article fort intéressant.
-
Concernant Barbeau, je soutiens qu’il serait de mise que l’on remette les pendules à l’heure en ce qui concerne les accusations du vol d’un totem autochtone de la nation Nisga’a de la Colombie Britannique, récemment ramené au bercail, qui aurait été volé par Barbeau et vendu en Écosse. Il semble qu’il faudrait apporter quelques nuances à propos de l’ethnographe qui se serait tiré avec « le mat sous le bras », comme le disait humoristiquement un collège. Accuser le père de l’ethnologie québécoise de ce larcin, sans en expliquer ni le contexte, ni fournir de preuves probantes, relève quelque peu du salissage de mémoire et, mine de rien, à un autre « Québec Bashing »…
Articles en référence : 1) https://www.journaldemontreal.com/2022/08/20/rapatriement-dun-totem-vole-une-delegation-autochtone-se-rend-en-ecosse‑1
2) https://www.lapresse.ca/actualites/2023–08-28/vole-en-1929/un-totem-de-retour-au-canada-apres-avoir-ete-expose-en-ecosse.php