Le 14 janvier 2024
Ce portrait est tiré de trois textes de Jean-Pierre Pichette sur la vie et l’œuvre de Conrad Laforte publiés initialement dans la revue Rabaska : « Notice biographique » (vol. 1, 2003, p. 79–81.) « L’air ne fait pas la chanson. Une entrevue avec Conrad Laforte » (vol. 1, 2003, p. 83–104.) et « Nécrologie. Hommage à Conrad Laforte (1921–2008) » (vol. 7, 2009, p. 145–147.).
Conrad Laforte voit le jour à Kénogami le 10 novembre 1921. Il est le cinquième d’une fratrie de douze enfants. Son grand-père était cordonnier dans une manufacture de la basse-ville de Québec et son père était conducteur de train pour la Price Brother and Compagny à Kénogami. Il étudie d’abord au Petit Séminaire de Chicoutimi. Très tôt, il s’est intéressé à la philosophie et au théâtre, écrivant plusieurs pièces qui seront jouées par ses camarades de classe. Alors qu’il est jeune étudiant, il travaille également pendant les congés pour la compagnie des frères Price et profite de ses pauses du midi pour rédiger des scénarios. L’un de ceux-ci lui fait d’ailleurs remporter la deuxième place à un concours littéraire organisé par Radio-Canada. Après un court passage en droit à l’Université de Montréal, il retourne à Kénogami, s’achète une machine à écrire et apprend à dactylographier. Il retourne par la suite à l’Université de Montréal pour compléter un baccalauréat en bibliothéconomie et bibliographie qu’il obtient en 1949.
N’ayant pas réussi à trouver un emploi dans son domaine, il retourne pendant un moment travailler à l’usine de pâtes et papiers. Puis, à l’automne 1951, il rencontre à Québec Luc Lacourcière et Félix-Antoine Savard qui sont à la recherche d’un bibliothécaire-archiviste pour les Archives de folklore. Laforte obtient ce poste qu’il occupera jusqu’en 1975. Pendant ses premières années aux Archives, il se consacre principalement à développer une classification et à organiser l’imposante documentation qui y est conservée. Il suit également les cours professés par Luc Lacourcière et Marius Barbeau. Ce dernier l’invite d’ailleurs à Ottawa afin qu’il réalise l’inventaire de la collection de chansons qu’il a recueillies pour le Musée national. Encouragé par ses maîtres Savard, Lacourcière et Barbeau, Laforte réalise ses premières enquêtes orales. Elles marquent le début d’une recherche de terrain qu’il mène pendant une dizaine d’années. Entre 1954 et 1964, il va recueillir 1132 enregistrements de contes, de légendes, de chansons et d’airs, provenant d’abord d’informateurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean, puis de diverses régions du Québec. Cet imposant corpus est devenu la base de ses recherches ultérieures.
Laforte était intéressé par l’étude de la littérature orale. Puisque Lacourcière travaillait déjà sur les contes populaires, Laforte se spécialise plutôt en étude des chansons traditionnelles et y consacre sa carrière de chercheur. Ses recherches l’amènent à développer une classification novatrice qui s’attarde à la poétique des paroles des chansons. En 1965, à son retour d’une année de recherche en Europe, on lui demande de donner un cours sur la chanson. Ce moment marque le début de sa carrière d’enseignant à l’Université Laval. Passionné par la recherche, il y poursuit son parcours universitaire. Il obtient une licence en 1968, un diplôme d’études supérieures en 1970 et un doctorat en 1978, faisant de lui le premier docteur de l’équipe des Archives de folklore. D’abord chargé de cours, il devient éventuellement professeur et enseigne jusqu’à sa retraite en 1988. Son départ est souligné lors du Congrès international sur les ballades et les chansons folkloriques (soit la 18e réunion de la Kommission für Volksdichtung de la Société internationale d’ethnologie et de folklore) qui se tient à l’Université Laval cette même année et dont il est l’un des organisateurs. Cet événement d’envergure réunissait des chercheurs provenant d’une douzaine de pays.
Tout au long de sa carrière, le travail de Conrad Laforte a été reconnu par ses pairs. Il a été le récipiendaire de quatorze bourses et subventions de recherche. Il a également été membre d’une douzaine de sociétés savantes et est intervenu en tant que conférencier lors de nombreux colloques nationaux et internationaux. Il est l’auteur d’une trentaine d’articles et d’une quinzaine de livres sur la chanson. Parmi ses œuvres marquantes, mentionnons La Poétique de la chanson traditionnelle (1976) ainsi que le Catalogue de la chanson folklorique française en six volumes publiés entre 1977 et 1987. Laforte a également reçu plusieurs distinctions, dont la médaille Luc-Lacourcière (1981), son élection à la Société royale du Canada (1982), la médaille Marius-Barbeau (1999) et un doctorat honoris causa de l’Université de Sudbury (2000).
Éminent spécialiste de la chanson traditionnelle au Québec et dernier témoin des débuts des Archives de folklore de l’Université Laval, Conrad Laforte s’éteint en 2008 à l’âge de 86 ans. Il s’est distingué par son travail minutieux et méthodique, sa patience, sa détermination, son dévouement et les ouvrages majeurs qu’il a publiés dans son domaine d’expertise.
Crédits
Rédaction : Laurence Provencher-St-Pierre
Révision : Louise Décarie
Image à la une : Conrad Laforte. Source : Université Laval, Division de la gestion des documents administratifs et des archives, Fonds Luc Lacourcière, P178/G1,16, [Luc Lacourcière photographe], [1961–1976].
Quelques références
Laforte, Conrad, Le Catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses universitaires Laval, Publications des Archives de folklore, 1958.
Laforte, Conrad, La Chanson folklorique et les écrivains du XIXe siècle (en France et au Québec), Montréal, Éditions Hurtubise HMH, « Cahiers du Québec 12 : collection ethnologie québécoise II ».1973, 154 p.
Laforte, Conrad, Poétiques de la chanson traditionnelle française, Québec, Presses de l’Université Laval, « Archives de folklore » 17, 1976, 161 p.
Laforte, Conrad, Catalogue de la chanson folklorique française, 6 vol., Québec, Presses de l’Université Laval, « Les Archives de folklore » 18–23, 1977–1987.
Pour aller plus loin
De Surmont, Jean-Nicolas, sous la dir. de, avec la collaboration de Serge Gauthier. « M’amie, faites-moi un bouquet… ». Mélanges posthumes autour de l’œuvre de Conrad Laforte. La Québec/La Malbaie, Presses de l’Université Laval/Éditions Charlevoix, « Archives de folklore 30 », 2011, 340 p.
Pichette, Jean-Pierre 2003. « L’air ne fait pas la chanson. Une entrevue avec Conrad Laforte », Rabaska. Revue d’ethnologie de l’Amérique française, vol. 1, 2003, p. 83–104. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2003-n1-rabaska3649/201607ar/
Pichette, Jean-Pierre. « Notice biographique. » Rabaska. Revue d’ethnologie de l’Amérique française, vol.1, 2003, p. 79–81. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2003-n1-rabaska3649/201606ar/
Pichette, Jean-Pierre. « Bibliographie de Conrad Laforte. » Rabaska. Revue d’ethnologie de l’Amérique française, vol.1 1, 2003, p. 105–112. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2003-n1-rabaska3649/201608ar/
Pichette, Jean-Pierre. 2009. « Nécrologie. Hommage à Conrad Laforte (1921–2008) », dans Rabaska. Revue d’ethnologie de l’Amérique française, vol. 7, 2009, p. 145–147. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2009-v7-rabaska3475/038348ar/