Le 12 mars 2024
Ce portrait est tiré de celui préparé par Dominique Sarny intitulé « Carmen Roy (1919–2006) » et publié initialement dans Rabaska, vol. 4, 2006, p. 95–98.
La folkloriste et spécialiste de la littérature orale gaspésienne, Carmen Roy, a mené une carrière de près de trente ans au Musée national de l’Homme à Ottawa (aujourd’hui le Musée canadien de l’histoire). Celle qui était respectueusement appelée « Mlle Roy » était décrite comme une femme d’action et une bonne vivante. Elle était reconnue comme étant énergique, passionnée, rigoureuse et déterminée. Au cours des ans, elle gravit les échelons et occupe différents postes de direction et de recherche. Son travail a contribué au développement, au sein de cette institution nationale, d’une ethnologie plus inclusive tenant compte des transformations sociales et culturelles des pratiques traditionnelles canadiennes.
Née à Bonaventure, en Gaspésie, le 25 décembre 1919, Carmen Roy obtient d’abord un baccalauréat en lettres du Collège Marguerite-Bourgeois de Montréal en 1942. Puis, en 1947, elle fréquente l’Université Laval. Elle y fait alors la rencontre de Marius Barbeau et de Luc Lacourcière qui l’initient aux études de folklore. Rapidement, Barbeau la remarque et en fait sa collaboratrice. L’année suivante, grâce à son appui, elle obtient un contrat d’attachée de recherche au Musée national d’Ottawa.
Engagée dans la recherche de terrain, elle complète ensuite une maîtrise (1951) et un doctorat (1953) en ethnologie à l’Université de Paris. Dirigée par l’ethnologue français Marcel Griaule, ses recherches portent sur la littérature orale gaspésienne. Elle publie d’ailleurs Contes populaires gaspésiens en 1952 et La littérature orale en Gaspésie en 1955. Ce dernier est un ouvrage encore aujourd’hui cité comme référence sur le sujet.
En 1957, Carmen Roy est nommée chef de la Section folklore de la Division de l’ethnologie du Musée national. Elle milite alors pour la reconnaissance du folklore comme une discipline à part entière à l’intérieur du Musée. Pendant les années sous sa direction, la Section s’enrichit de nouveaux collaborateurs et les archives sont classées. De plus, elle élargit le champ de la recherche afin d’y intégrer l’ensemble des groupes minoritaires canadiens (à l’exception des Premières nations qui relèvent d’une autre section). Carmen Roy prône alors une démarche ethnologique qui cherche à documenter les pratiques de la société traditionnelle tout en tenant compte de la diversité des communautés culturelles sur le territoire canadien, de l’apport de chacune et de leurs transformations. Cette vision avant-gardiste reconnaissant la diversité culturelle de la société canadienne devançait la politique sur le multiculturalisme canadien qui est mise de l’avant par Pierre Elliot Trudeau dans les années suivantes.
En 1966, la Division de folklore est créée et Carmen Roy y occupe le poste de directrice. Puis, elle fonde en 1970, toujours à l’intérieur du Musée national de l’Homme, le Centre canadien d’études sur la culture traditionnelle. Elle dirige le Centre jusqu’en 1977, alors qu’elle est nommée déléguée scientifique du Musée. Par ce poste, qui relève directement de la Direction générale, Carmen Roy se dégage des responsabilités administratives qu’elle occupait depuis vingt ans et peut se consacrer davantage à la recherche. Elle publie d’ailleurs une édition revue et augmentée de son ouvrage Littérature orale en Gaspésie en 1981. L’année suivante, l’Association canadienne pour les études de folklore lui décerne le titre de « Folkloriste canadienne de distinction ». Carmen Roy prend officiellement sa retraite en 1984. Néanmoins, elle continue d’occuper un bureau au Musée jusqu’en 1992. Elle décède à Ottawa, le 9 avril 2006. Elle avait 86 ans.
La personnalité, l’érudition et les qualités de Carmen Roy ont contribué à faire d’elle une ethnologue d’exception dans un monde disciplinaire et institutionnel dominé par des hommes. Visionnaire et audacieuse, son apport à la discipline est trop peu reconnu, peut-être justement parce qu’elle était une femme et qu’elle a travaillé toute sa vie hors les murs de l’université, dans une institution – fédérale de surcroît. Elle a ouvert l’ethnologie québécoise ou canadienne-française à l’interdisciplinarité et à la prise en compte de la diversité culturelle.
Crédits
Rédaction : Laurence Provencher-St-Pierre
Révision : Louise Décarie
Image à la une : Carmen Roy, 26 septembre 1957, Fonds Champlain Marcil, BANQ Gatineau, P174,S1,D12454
Quelques références
Roy, Carmen, Contes populaires gaspésiens, Montréal, Fides, 1952.
Roy, Carmen, Saint-Pierre et Miquelon : une mission folklorique aux îles, Ottawa, Musée national du Canada, 1962.
Roy, Carmen, La littérature orale en Gaspésie, Ottawa, Musée national du Canada, 1955.
Roy, Carmen, La littérature orale en Gaspésie, Montréal, Leméac, 1981.
Roy, Carmen, « Quel était l’avenir du folklore », Folklore. Bulletin de l’Association canadienne pour les études de folklore, vol. 6, nos 3–4, 1982, p. 9–14.
Pour aller plus loin
Sarny, Dominique, « Carmen Roy (1919–2006) », Rabaska, vol. 4, 2006, p. 95–98. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2006-v4-rabaska3646/201766ar.pdf
Sarny, Dominique, « À la recherche de la tradition véridique : le secret inavoué d’un terrain avorté à Saint-Brieux (Saskatchewan) », Rabaska, volume 9, 2011, p. 91–102. https://www.erudit.org/fr/revues/rabaska/2011-v9-rabaska1819335/1005895ar/
3 commentaires
Comme Carmen Roy j’ai vécu mon enfance dans ce magnifique village de Bonaventure. Je possède l’édition 1962 de son superbe ouvrage “Littérature Orale en Gaspésie” lequel était vendu $3.50 et qui a été tiré à 2000 exemplaires. Amoureux de ma Gaspésie, j’aime consulter son oeuvre et retrouver mes racines.
Marcel A Thériault
Le livre « Contes populaires gaspésiens » a marqué notre enfance dans notre petite maison de Cap des Rosiers en Gaspésie. L’aîné d’une nombreuse famille, je rassemblais mes sœurs et frères dans la cuisine éclairée à la lampe à l’huile pendant que maman et papa allait faire un petit tour le soir chez un voisin pour écouter Séraphin. Je leur lisais les divers contes du livre de Carmen Roy. Encore aujourd’hui, dans nos réunions de famille, Jean De L’Ours remonte à la surface de nos beaux souvenirs de ces féeriques veillées enfantines. Au cours des années, nous avons recherché ce livre mais il semble introuvable. Quel cadeau ce serait de le retrouver!!!
Merci mille fois à Carmen Roy d’avoir créé pour nous, enfants perdus au bout de tout, un monde imaginaire qui a su charmer et adoucir nos soirées de solitude.
La Gaspésie et son folklore ont rayonné grâce à elle!
Armand Labbé