Présentation
Les trois frères Bourgault de Saint-Jean-Port-Joli, Médard (1897–1967), André (1898–1958) et Jean-Julien (1910–1996), ont été à l’origine d’un mouvement de sculpture sur bois qui a fait vivre à une certaine époque plus d’une centaine de familles. Les trois frères ont formé de nombreux apprentis dont plusieurs sont devenus maîtres d’atelier eux-mêmes. On peut évaluer qu’un millier de sculpteurs ont travaillé dans le sillon des Trois Bérets.
Le présent article consacré à Médard Bourgault est le premier d’une série qui porte sur les ateliers des trois frères qui ont fait l’objet d’un article publié dans la revue Rabaska en 2020 (1).
Introduction
Médard Bourgault sculptait déjà pour son plaisir quand Marius Barbeau, anthropologue au Musée national du Canada, le visite en 1930. Ce dernier lui achète des œuvres et le fait connaître dans les réseaux de collectionneurs, les milieux culturel, religieux, politique et médiatique au Canada et à l’étranger. C’est le temps de la grande crise économique. Le gouvernement du Québec désire remettre à l’honneur les métiers artisanaux et utiliser ce savoir-faire dans la promotion du tourisme qui est le secteur économique le plus rentable après les mines et la pâte à papier. L’inauguration du boulevard Perron (2) vers Gaspé en 1929 et l’amélioration des services d’hébergement attirent les touristes qui sont nombreux à passer par Saint-Jean-Port-Joli. Médard installe une petite table à l’extérieur de sa maison pour vendre ses pièces aux touristes (3).
Médard ne peut subvenir à la tâche. Il demande l’aide de ses frères Jean-Julien et André pour l’assister dès 1931. Leurs neveux, Léon et Alphonse Toussaint, de même qu’une jeune sœur de Médard, Yvonne, se joignent à eux pour produire des figurines pour le marché touristique. Médard écrit : « Les pièces les plus populaires sont les types d’habitants canadiens-français et les scènes ou bas-reliefs de la vie des champs : les bûcherons, les pêcheurs gaspésiens; les chiens, les attelages de bœufs et les chevaux sont aussi assez populaires. Mais la plus populaire de toutes est le type d’habitant ou habitante tel que fileuse et tricoteuse ou autres. Les sujets religieux sont assez demandés aussi (4) . » Il indique que ses clients viennent de partout et il précise : « Nous vendons beaucoup aux Canadiens français, surtout dans les pièces dispendieuses (5). » André partage l’atelier de ses frères jusqu’en 1935, puis il s’en dissocie [Un article sera publié à son sujet plus tard].
L’art religieux
Très tôt, Médard décide de se consacrer à l’art religieux. Médard et Jean-Julien partagent le même atelier jusqu’à ce que Jean-Julien fonde son atelier de mobilier religieux en 1949 afin de satisfaire une demande croissante et apparemment intarissable. Des commandes viennent de partout au Canada et même des États-Unis. La commande de l’École ménagère régionale des Sœurs de Sainte-Anne de Saint-Jacques-de‑l’Achigan (Montcalm), entre 1948 et 1951, est un bel exemple de projet qui concerne autant Médard que Jean-Julien (6). Sr Marie-Jeanne-de-France, directrice, demande à Médard un chemin de croix en haut relief d’environ 46 x 40 cm, des statues en ronde bosse et une crèche de Noël en plus de pièces d’ameublement comme la table de communion que produit Jean-Julien : « Je serai si fière de dire que toute la décoration est l’œuvre des sculpteurs « Bourgault ». Je pense que nous aurons une très belle chapelle [… ] C’est là qu’auront lieu nos retraites et tous nos congrès. Je tiens à ce que l’artisanat soit à l’honneur (7). » Ce projet remarquable attire l’intérêt des architectes et connaisseurs de l’époque et contribue à la réputation déjà grande de Médard et Jean-Julien.
Un art identitaire
Médard souhaite que son œuvre représente l’identité québécoise. L’ensemble le plus impressionnant à cet égard est sans contredit le salon de sa maison décoré de lambris sculptés que l’artiste réalise afin d’illustrer, à travers la vie de sa famille et de son époque, ce que nous sommes comme peuple, partiellement illustré par le montage à la Une de cet article. Ce grand récit métaphorique inclut donc les œuvres suivantes : L’ébauche d’une race, Le berceau d’une race, Les premiers pas d’une race, La destinée, Le défricheur, Le semeur, L’artisan, La forge, Le fardeau des guerres, La justice et Le bâtisseur. Ces hauts-reliefs, interprétés grâce au Journal personnel de Médard, sont très touchants et témoignent d’une grande sincérité en regard de la vie et de la société : les ancêtres, la famille, l’éducation, la profession, l’amour de la terre et de la mer, la détresse de la guerre. Car cet ensemble magistral est créé en 1942 et 1943, au cours de la Deuxième Guerre mondiale qui interpelle la créativité du maître qui a perdu ses élèves après la fermeture de son atelier-école. Ces œuvres, ancrées dans la tradition, témoignent également d’un élan de modernité révélé par « Le fardeau des guerres ». Cette œuvre moderne chargée d’émotions et d’une grande sensibilité cadrerait bien avec les pièces d’autres grands maîtres exposées dans le pavillon Charles-Baillargé du Musée national des Beaux-Arts du Québec consacré à l’art moderne.
Un art religieux québécois
Tout au cours de sa carrière, Médard plaide pour un art religieux québécois (8). Parmi les œuvres originales créées par Médard, il y a de nombreuses représentations de la Vierge Marie, Notre-Dame des blés, Notre-Dame des poètes, Notre-Dame de l’espace, Notre-Dame des flots acquise par le Musée du Québec et Notre-Dame des habitants portant une gerbe de blé, acquise par l’abbé Albert Tessier (9). Cette dernière statue est d’ailleurs choisie par Marius Barbeau pour figurer dans le livre des plus grandes représentations de la Vierge au monde, The World’s Great Madonas (10).
L’art profane
Il est possible que la baisse lente de l’intérêt pour les sculptures religieuses au milieu des années 1950 et le désir pour Médard de créer un art typiquement québécois amènent ce dernier à s’orienter vers la production de nues, inspirées par les bois d’épave ou échouries qu’on retrouve en grande quantité sur les rives du fleuve (11). Les cahiers de vente de Médard indiquent que de nombreux clients, individus comme compagnies, acquièrent ce genre de pièces dès 1955 (12).
André-Médard raconte : « Moi quand j’ai commencé à sculpter dans l’atelier, dans les années 1961–1962, mon père était un petit peu en avance sur son temps. C’était à l’époque où mon père Médard faisait de la sculpture de nues. Alors l’atelier, à ce moment-là, était séparé en deux. Il y avait notre côté (13), et de l’autre côté, mon père avait un genre de petite galerie d’art où il exposait ses œuvres pour les initiés (14) ».
Épilogue
Médard Bourgault fut adulé par ses émules, recherché par le public et respecté par la critique. Médard Bourgault a eu 16 enfants. Ses filles, qui ont sculpté avec lui, nous ont laissé des œuvres qui témoignent des travaux en atelier. Ses fils Jean-Raymond (1924–2010), Fernand (1932–1993), Claude (1933–1966), Jacques (1940–2017) (15) et André-Médard (1941) sont tous devenus de grands sculpteurs. Le dernier, André-Médard, par respect pour l’héritage reçu, a conservé intact le domaine érigé par son père qui est aujourd’hui un site patrimonial cité par la municipalité de Saint-Jean-Port-Joli. (16) Il a également publié avec François Gauthier La maison de mon père, un livre généreusement illustré qui présente les bâtiments sur le domaine ainsi que les collections qu’ils contiennent. On peut aussi visiter le domaine Médard-Bourgault ici.
Crédits
Recherche et rédaction : Jean-François Blanchette
Révision : Louise Décarie
Mise en page : Marie-Ève Lord
Illustrations : tel qu’indiqué au bas des vignettes
Je tiens à remercier André-Médard Bourgault pour sa contribution généreuse à mes recherches et François Gauthier pour les photographies tirées du livre d’André-Médard Bourgault, préface de Michel Lessard, La maison de mon père, publié à Beloeil par Qualigram en 2015. 156 p.
À la Une : Quelques-uns des hauts-reliefs que Médard a sculptés en 1942 et 1943 pour décorer son salon : « Le berceau d’une race », « Le défricheur », « La forge », « Justice » et « Le fardeau des guerres », en bois de pin, chacun mesurant environ 86 x 42 x 4,5 cm. Collection André-Médard Bourgault. Photos : François Gauthier
Notes
1. Jean-François Blanchette, « Les Trois Bérets et les ateliers de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli (1930–1967) » Rabaska, vol. 18 (2020), p. 11–42.
2. Aujourd’hui, la portion de la route 132 le long du fleuve jusqu’à Gaspé.
3. Jean-François Blanchette, « Les Trois Bérets et la Gaspésie, 1930–1950. Des miniatures pour le marché touristique » Magazine Gaspésie, no. 200, avril-juillet 2021, p. 16–18.
4. Archives de la Côte-du-Sud (ACS), Fonds Médard Bourgault, F050/1/4, Correspondance, 19 décembre 1935.
5. Ibid.
6. Le 20 septembre 1949, l’École ménagère de Saint-Jacques aménage dans un nouveau bâtiment sous le nom d’École supérieure d’enseignement ménager, aujourd’hui le Collège Esther-Blondin : https://www.collegeblondin.qc.ca/le-college/historique/ consulté le 3 juin 2020.
7. ACS, F050/1/17, Sr Marie-Jeanne-de-France, op. cit., le 2 février 1949.
8. Gérard Ouellet fait la promotion de ses idées dans L’Action Catholique du 12 février 1939. Voir aussi la correspondance de Marc Couillard-Després, prêtre vicaire de Saint-Jean Port-Joli, à Gérard Ouellet, 16 janvier 1938 (ACS, F050/1/6).
9. ACS, F050/1/8, Albert Tessier à Médard Bourgault, le 30 décembre 1940
10. Notre-Dame des habitants et le texte de Marius Barbeau sont publiés aux pages 535 à 537 de Cynthia Pearl Maus, The world’s great Madonnas : an anthology of pictures, poetry, music, and stories centering in the life of the Madonna and her Son, New York, Harper and Brothers, 1947, 789 p.
11. Voir à ce sujet le très beau film « Saint-Jean-Port-Joli » produit par Pierre Dumas de l’Office du film du Québec pour l’Office du tourisme de la province de Québec en 1962 : https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2489311?fbclid=IwAR2McfhjK8fDAW_yMfMI8JcA8qHMOPhYbcDyGQRSQVMuFVyhtEIlpLSAwzs, consulté le 28 février 2021.
12. ACS, F050/1/23, Correspondance, George O. Soucis, René‑T. Leclerc Incorporée, Valeurs de Placement, Montréal, à Médard Bourgault, le 27 septembre 1955.
13. La section de l’atelier où André-Médard sculpte avec Jacques, Fernand et Claude, Jean-Raymond ayant son propre atelier.
14. Communication personnelle d’André-Médard Bourgault.
15. https://ethnologiequebec.org/2017/03/jacques-bourgault-1940–2017/, consulté le 27 février 2021.
16. https://ethnologiequebec.org/2017/09/la-citation-du-domaine-medard-bourgault/,consulté le 26 février 2021.
3 commentaires
J’ai visité le musée à st jean port joli ‚il y a 18 ans J’ai rencontré un descendant:Gilles Bourgault qui habite aussi à st Jean
Nous sommes Français et nos ancétres ont émigrè dans cette région ddans les années 1700,11800.
Nous sommes de Normandie et des Bourgault sont partis de St Malo originaire de Pleurtuit Ile et Vilaine
J’aurai aimé avoir des infos sur la généalogie de ces Bourgault .
Une petite anectote ‚il y a la rue des Bourgault à St Jean .
Merci
“On peut aussi visiter le domaine Médard-Bourgault ici.” Ne fonctionne pas.
Merci de nous avoir fait part de ce problème. La situation devrait maintenant être corrigée.