Hommage à Pierre Bourgault — Récipiendaire du prix Paul-Émile-Borduas 2020

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Portrait de Pierre Bourgault, artiste en art actuel

L’artiste en art actuel Pierre Bour­gault a reçu le prix Paul-Émile-Bor­d­uas 2020, « la plus haute dis­tinc­tion attribuée à une per­son­ne pour sa con­tri­bu­tion au domaine des arts visuels, des métiers d’art ou des arts numériques au Québec » (1).

Pierre Bour­gault est né le 12 sep­tem­bre 1942. Il est le fils du sculp­teur sur bois de répu­ta­tion inter­na­tionale Jean-Julien Bour­gault, fon­da­teur avec ses deux frères Médard et André, du mou­ve­ment de sculp­ture sur bois qui a fait de Saint-Jean-Port-Joli la cap­i­tale nationale de la sculp­ture sur bois. Ado­les­cent, Pierre tra­vaille avec son père et ses oncles dans leurs ate­liers où la sculp­ture tra­di­tion­nelle occupe la meilleure part du temps des arti­sans. Mais la déesse de l’art veille et prof­ite du tem­péra­ment fougueux du jeune homme pour ori­en­ter son futur.

Pierre Bourgault et son assistant de toujours, son fils Che, lors de la construction d’un Cheval de bois habitable au Symposium international de sculpture environnementale de Chicoutimi (aujourd’hui Saguenay) en 1980.
Pierre Bour­gault et son assis­tant de tou­jours, son fils Che, lors de la con­struc­tion d’un Cheval de bois hab­it­able au Sym­po­sium inter­na­tion­al de sculp­ture envi­ron­nemen­tale de Chicouti­mi (aujourd’hui Sague­nay) en 1980.
Pho­to de Mar­cel Clouti­er fournie par Pierre Bour­gault

Le Cheval de bois habitable est pris d’assaut par les jeunes au Parc de La Baie (aujourd’hui Saguenay), 1980
Le Cheval de bois hab­it­able est pris d’assaut par les jeunes au Parc de La Baie (aujourd’hui Sague­nay), 1980.
Pho­to de Mar­cel Clouti­er fournie par Pierre Bour­gault

Dans un témoignage vibrant, Pierre Bour­gault racon­te ses débuts à l’atelier de son père, sa révolte, la lib­erté qu’il a ain­si acquise et ce qui lie sa pra­tique en art actuel à ses orig­ines qui se situent au cœur de la sculp­ture fig­u­ra­tive tra­di­tion­nelle.

« Quand j’étais petit gars, je gag­nais des sous à faire des fig­ures de madones pour les touristes. Mais pour mes par­ents, je ne devais pas faire car­rière comme sculp­teur! Je devais aller à l’université, étudi­er. Mon père fréquen­tait beau­coup d’architectes, parce qu’il fai­sait des bancs d’église. Alors, l’architecture m’était apparue comme étant un méti­er qui liait cette idée de sculp­teur, de notions d’espace, de con­nais­sances eth­nologiques et cul­turelles. Alors, je me suis dirigé en archi­tec­ture.

À l’été, après ma pre­mière année, je suis revenu à Saint-Jean-Port-Joli, dans l’atelier de mon père, pour gag­n­er de l’argent en faisant de la sculp­ture. À un moment don­né, mon père m’a fait cho­quer, pour je ne sais plus quoi, et je me suis enragé. J’étais en tabar­nak! J’ai frap­pé dans un morceau de bois avec une hache. C’était la pre­mière fois, vrai­ment, que je m’apercevais que la sculp­ture pou­vait être autre chose qu’une sculp­ture folk­lorique qui représen­tait un per­son­nage de la bonne tra­di­tion.

C’était la pre­mière fois que j’avais vu du bois pour du bois, une hache pour une hache, puis une expres­sion au bout de mes bras! Je n’avais jamais pen­sé dans ma vie qu’on pou­vait forcer un morceau de bois à te traduire ce que t’as dans le cœur! Ça a viré réal­iste et expres­sion­niste, c’était une tête de mon­stre, les cheveux dans la face! Et j’ai été vrai­ment ren­ver­sé, à l’âge de 20 ans, après avoir vécu toute ma vie dans un monde de sculp­teurs, qu’on pou­vait faire de la sculp­ture pour soi-même. Et ç’a été comme un éclair, une révéla­tion pour moi! J’ai telle­ment aimé ça! J’avais telle­ment besoin de ça que j’en ai fait pen­dant tout l’été, avec un autre sculp­teur qui s’est joint à moi.

J’expérimentais, mais ça a été long. J’ai fait de la taille directe, moi. J’ai fait des choses qui étaient fig­u­ra­tives, mais com­plète­ment avant-gardistes. C’était toute une évo­lu­tion avant d’arriver à l’abstraction. Mais, même aujourd’hui, je ne suis pas abstrait, moi… Quand les gens, les com­mis­saires, me dis­ent : « Tu fais de la sculp­ture abstraite… » Mais non, toutes mes sculp­tures ont des his­toires. Je suis encore rat­taché à ce que mon père fai­sait. Il fai­sait quelque chose qui racon­tait une his­toire. Puis moi, mes sculp­tures, même si elles sont mod­ernes, abstraites, elles racon­tent une his­toire. Évidem­ment, il a fal­lu pour ça que je m’échappe du volet tra­di­tion de Saint-Jean-Port-Joli, que je le ques­tionne. Alors aujourd’hui, je suis un sculp­teur en art con­tem­po­rain, très sere­in par rap­port à la sculp­ture tra­di­tion­nelle à Saint-Jean-Port-Joli qui a existé autre­fois. Il ne faut pas s’étonner que si moi j’ai créé une école plus mod­erne, c’est à cause de mon père. C’était dans l’essence de mon père, dans la pen­sée de mon père.

Il n’était pas un mod­erne, mon père. Mais c’est lui qui m’a don­né sa façon de vivre, sa façon de penser, qui m’a poussé vers le mod­ernisme. La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre. Alors si moi j’ai fait ça, ce n’était pas spon­tané. C’était quelque part dans mon édu­ca­tion, dans ma cul­ture famil­iale, de faire des choses qui s’adaptaient plus à l’état de la société, de la cul­ture.

J’ai enseigné pen­dant 18 ans, à l’école de sculp­ture ici [Saint-Jean-Port-Joli]. C’était une école de sculp­ture et de métiers d’art. C’était une école très mod­erne qui a don­né lieu à une insti­tu­tion qui s’appelle Est-Nord-Est, qui fonc­tionne bien. Elle n’a pas poussé comme un champignon en plein champ d’une sorte de spore qui venait d’ailleurs. C’était vrai­ment un élé­ment qui était né ici, à Saint-Jean-Port-Joli, du milieu de Saint-Jean-Port-Joli, avec un esprit, une veine très con­tem­po­raine.

On m’a sou­vent demandé « Com­ment se fait-il que le cen­tre Est-Nord-Est, qui est un des cen­tres les plus effer­ves­cents en art actuel au Québec et au Cana­da, cou­ru par les étrangers, d’Europe, d’Asie, qui vien­nent ici pour ça, com­ment se fait-il que ça se passe à Saint-Jean-Port-Joli, dans un endroit de sculp­ture tra­di­tion­nelle? » C’est qu’il y avait une veine dans l’esprit des Bour­gault, de Médard, et de Jean-Julien, qu’il y avait d’abord l’art. Il y avait une âme d’artiste pro­fonde, et dont j’héritais. On voudrait que je sois rat­taché à un pro­duit, on voudrait que je sois dans la tra­di­tion du pro­duit, tan­dis que je suis dans la tra­di­tion de l’esprit. » (2)

En ter­mi­nant, rap­pelons que Pierre Bour­gault a été directeur de l’école de sculp­ture sur bois de Saint-Jean-Port-Joli de 1967 à 1986. Avec des amis, il crée ensuite les Stu­dios d’été, puis le Cen­tre Est-Nord-Est en 1992. Ce dernier se veut un lieu de ressource­ment pour artistes de toutes orig­ines qui sont inter­pel­lés par la tra­di­tion de sculp­ture sur bois dans un vil­lage rur­al sis sur les rives du fleuve Saint-Lau­rent. Les artistes y ont accès à un sou­tien logis­tique pour la créa­tion de leurs œuvres. On y vient de partout dans le monde pour expéri­menter et échang­er sur la pra­tique artis­tique. Les activ­ités, les expo­si­tions et les pub­li­ca­tions du cen­tre mènent à une recon­nais­sance inter­na­tionale de ce lieu unique au monde. D’ailleurs le suc­cès de ce con­cept a mené à sa con­sécra­tion en 2018 par l’octroi d’une sub­ven­tion pour la con­struc­tion d’un édi­fice mod­erne qui rem­place l’atelier désor­mais désuet et les roulottes util­isées par les artistes. La pro­gram­ma­tion du cen­tre est tout à son hon­neur. On peut le con­sul­ter sur son site web ici.

Vis­itez le site web de l’artiste ici.

Pour en savoir plus sur le récip­i­endaire du prix Paul-Émile Bor­d­uas 2020, cliquez ici.

Jean-François Blanchette
Société québé­coise d’ethnologie

 

Oeuvre de Pierre Bourgault intitulée Latitude 51˚x27’50’’ – Longitude 57˚16’12’’
Pierre Bour­gault, Lat­i­tude 51˚x27’50’’ – Lon­gi­tude 57˚16’12’’, 1995. Instal­lée sur le boule­vard Cham­plain à Québec, près du fleuve, cette sculp­ture d’un habita­cle à décou­vrir fait le bon­heur des enfants. Est-ce une embar­ca­tion ou un refuge?
Pho­to : Jean-François Blanchette, 2 avril 2021

 

Image à la une : Pierre Bour­gault, vers 2000. Pho­to col­lec­tion Famille Bour­gault, expo­si­tion « Jean-Julien Bour­gault, témoin de son temps », Musée POP, 2017.

Références

(1) Les Prix du Québec. « Prix Paul-Émile-Bor­d­uas », [http://www.prixduquebec.gouv.qc.ca/prix-qc/listelaureat.php?prix=Paul-%C9mile-Borduas&ordre=anneePrix&sens=-1], site con­sulté le 25 mars 2021.

(2) Témoignage com­posé d’extraits tirés de deux entre­vues, l’une réal­isée le 11 octo­bre 2004 par Kari­na Bleau pour le Musée de la mémoire vivante (MMV 2004–0003), et une autre par Jean-François Blanchette le 5 juin 2017 (MMV 2017–0054), réal­isée pour la Société québé­coise d’ethnologie grâce au sou­tien financier du gou­verne­ment du Québec et de la Munic­i­pal­ité de Saint-Jean-Port-Joli dans le cadre de l’entente de développe­ment cul­turel. Le texte a été amé­nagé pour faciliter la lec­ture.

2 commentaires

  1. Jean-Fran­cois, Mer­ci de partager avec nous ton habileté à génér­er des témoignages…
    Johane

    1. Mer­ci Johane. C’est tou­jours un priv­ilège de pou­voir faire des entre­vues avec des artistes qui nous ouvrent leur ate­lier et parta­gent leur vécu. De plus, j’ai accès aux témoignages recueil­lis par les eth­no­logues qui ont tra­vail­lé avec le Musée de la mémoire vivante, comme Kari­na Bleau dans ce cas-ci.

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