Présentation
Le 29 mai 2023 | Cet article web (1) est le quatrième d’une série qui porte sur les ateliers de sculpture sur bois des trois frères Bourgault, Médard (1897–1967), André (1898–1958) et Jean-Julien (1910–1996), qui ont fait l’objet d’un livre publié récemment, Médard Bourgault et ses héritiers – Un siècle de sculpture à Saint-Jean-Port-Joli (2). Le premier article web « Médard Bourgault, maître d’art, 1930–1967 » se trouve ici. Le deuxième, « L’École de sculpture sur bois Médard & Jean‑J. Bourgault, 1940–1942 », ici. Le troisième, « André Bourgault, maître-sculpteur, 1936–1958 », ici.
Introduction
Jean-Julien travaille d’abord comme marin puis comme menuisier à l’atelier de son père avec son frère Médard. Ce dernier le convainc de l’aider à remplir ses commandes de sculptures en 1931. Jean-Julien se rappelle :
« C’est un vrai studio des frères Bourgault, à qui ferait la pièce la plus originale et ça devient que l’on ne trouve plus de vrais moments de repos (3). »
Comme Jean-Julien est habile à manier le ciseau et qu’il aime la composition, il réussit très vite à produire des œuvres qui plaisent à la clientèle. Homme pragmatique, il réussit bien en affaires. Comme pour ses frères, c’est l’art paysan qui a été la raison du marché rapide qu’il a réussi à développer au début des années 1930. André les ayant quitté en 1935, Jean-Julien travaille à l’atelier de Médard jusqu’en 1949. On y réfère comme Atelier Médard Bourgault et frère. Jean-Julien profite avec son frère Médard du renouveau de ferveur religieuse qui dure depuis le milieu du XIXe siècle (4) et qui se poursuit jusqu’au milieu du XXe siècle. En 1937, les deux frères sculptent la chaire de l’église de leur paroisse qui leur commandera d’autres pièces plus tard (5). Les commandes affluent de partout. Les communautés religieuses, les paroisses et les cathédrales du Canada commandent des sculptures religieuses de Médard et Jean-Julien l’assiste (6).
L’atelier de mobilier d’église de Jean-Julien Bourgault, 1949–1957
Comme la demande pour le mobilier d’église est grande, Jean-Julien quitte l’atelier qu’il partage avec Médard et fonde un atelier qui se spécialise à cette fonction. Il y a création d’un patrimoine religieux considérable. Le style de l’ameublement et du décor d’église qui est adopté est inspiré de celui de l’École Boulle de Paris où Jean-Marie Gauvreau, qui encourage les frères Bourgault dans leur entreprise, a étudié (7). On crée l’ameublement et le décor pour 70 cathédrales, églises, chapelles et monastères du Québec, du Canada et des États-Unis. Il y a peu de documentation écrite sur le détail des réalisations de mobilier d’église de Jean-Julien Bourgault. Par contre, la richesse artistique et architecturale de l’église Saint-Charles Garnier a été analysée par Nicole Bourgault, Hélène Bourque, Claude Corriveau et Ginette Laroche et on a conclu qu’il constituait l’ensemble le mieux conservé de la contribution de Jean-Julien Bourgault au patrimoine religieux (8). Malgré les nombreuses réalisations et les commandes existantes, Jean-Julien doit ralentir la production de mobilier d’église au milieu des années 1950 en raison de la compétition féroce des marchands de plâtre du Québec et d’Italie et des ébénistes locaux et internationaux qui sont fort présents sur les marchés (9).
L’École de sculpture Jean‑J. Bourgault, 1957–1967
Le ralentissement de la production à l’atelier de mobilier religieux amène Jean-Julien à se concentrer à la sculpture proprement dite ainsi qu’à la formation d’apprentis. Il ouvre donc L’École de sculpture Jean‑J. Bourgault en 1957. Cette fois-ci, Jean-Julien est assisté de son épouse Marie-Antoinette Caron, aux fonctions administratives, et de son fils Gilles, désormais un sculpteur professionnel. Cette unité familiale constitue le noyau de l’atelier-école (10) et en permet le succès. Chaque année, de dix à vingt apprentis s’y inscrivent et suivent des cours pendant deux années, grâce au support financier qu’ils reçoivent du programme d’Aide à la jeunesse pour payer leur pension et leur cours. L’approche pédagogique demeure la même que celle établie dès les premiers ateliers de Saint-Jean-Port-Joli, soit une formation pratique à la sculpture sur bois en taille directe. Les élèves — jeunes gens et aussi jeunes filles — viennent de partout au Québec. Les pièces produites appartiennent à l’école qui les vend.
Robert Rice de la Presse canadienne décrit l’atelier de Jean-Julien dans l’Action catholique du 26 février 1958 :
« (…) Dans cet atelier, il dispose d’une panoplie de plus de 250 outils de travail et utilise surtout les bois du Québec dans ses travaux de sculpture. Il importe, toutefois, de l’acajou de l’Amérique du Sud, employant les bois les plus vieux, partant les plus secs et le plus propices à la sculpture. (…) Le prix des ouvrages de Jean-Julien varie entre 50 cents à $ 2,000 par sculpture. Ses œuvres sont disséminées de par le monde (11). »
L’École de sculpture Jean‑J. Bourgault ferme au printemps 1967. Cet atelier-école aura eu un impact majeur sur la sculpture sur bois en taille directe, car on y a formé plus d’une centaine de sculpteurs. Parmi les élèves de Jean-Julien au cours de ces années, on trouve de nombreux sculpteurs qui ont fait leur marque dont Pier Cloutier, Maurice Harvey, Denys Heppell, Gaétan Hovington, Jean-Pierre Morin, André Pelletier, Herman Raby, et bien d’autres. Certains d’entre eux comme Gil-Jacques Cloutier, Victor Dallaire, Benoi Deschênes (12), Nicole Deschênes Duval et Marcel Guay sont devenus maîtres d’ateliers et ont formé d’autres apprentis (13). À l’automne 1967, la formation d’élèves sera reprise par l’École de sculpture sur bois de Saint-Jean-Port-Joli, sous l’égide de la Commission scolaire régionale Pascal-Taché. Elle sera dirigée par le fils de Jean-Julien, Pierre Bourgault. Jean-Julien, quant à lui, en profitera pour explorer son art en toute liberté.
L’art de Jean-Julien Bourgault
Talentueux en dessin (14), Jean-Julien l’est également pour exprimer dans le bois les caractères de ses personnages. Il est un grand observateur de ce qui se passe autour de lui. Il aime représenter dans le bois, souvent avec humour, les activités sociales, religieuses et politiques qui ont lieu dans la communauté, les assemblées publiques à la sortie de l’église ou au marché. Ses bas-reliefs, ses rondes-bosses et ses pièces montées présentent ainsi ses concitoyens avec des allures cocasses. La vivacité de ses rondes-bosses exprime les états d’âme des humains, souvent de ses contemporains, amis, voisins et personnages historiques. Le style caricatural des scènes de ses bas-reliefs lui permet d’exprimer son humour et sa critique. Son amour de la culture orale locale lui permet de représenter son imaginaire avec exubérance. Contes, légendes et récits fantastiques se retrouvent exprimés dans des rondes-bosses et des bas-reliefs savoureux comme La Chasse-galerie et La Coureuse des grèves, imprégnés d’une interprétation toute personnelle. Enfin, son amour de la nature lui permet de s’éloigner de ses tâches et l’inspiration qu’il y puise renouvelle son impulsion créatrice.
Épilogue
Jean-Julien Bourgault, plus que tout autre sculpteur de son époque, a compris le besoin des Québécois d’exprimer profondément ce qu’ils sont. Sa très grande capacité de communication et d’échange avec ses interlocuteurs lui a permis de créer des œuvres qui témoignent de son époque, en même temps qu’elles sont intemporelles, car elles expriment des états d’âme profondément humains. Il aura été un artiste de son temps, sculptant le laboureur et l’homme religieux que nous étions pour s’adonner plus tard au culte du nu féminin dans toute sa sensualité. Maître-sculpteur, il le fut. Non seulement en raison de la qualité et de la créativité de son œuvre, mais également parce qu’il a formé un nombre imposant d’apprentis tout au long de sa carrière. Son influence fut immense.
Crédits
Recherche et rédaction : Jean-François Blanchette
Révision : Louise Décarie
Mise en page : Marie-Ève Lord
Illustrations : tel qu’indiqué au bas des vignettes
Pour acheter la publication de Jean-François Blanchette, Médard Bourgault et ses héritiers – Un siècle de sculpture à Saint-Jean-Port-Joli, Québec, Société québécoise d’ethnologie, 2023, 264 p., cliquer ici.
Notes
1. Je tiens à remercier Nicole et Pierre Bourgault, fille et fils de Jean-Julien Bourgault, pour leur apport indéfectible à mes recherches.
2. Jean-François Blanchette, Médard Bourgault et ses héritiers – Un siècle de sculpture à Saint-Jean-Port-Joli, Québec, Société québécoise d’ethnologie, 2023, 264 p.
3. Archives de la Côte-du-Sud (désormais ACS), Fonds Jean-Julien Bourgault, F215/1/4. Notes biographiques.
4. Diane Saint-Pierre, « Un nouvel encadrement institutionnel. 1850–1930 » dans Alain Laberge, dir., Histoire de la Côte-du-Sud, Collection Les régions du Québec 4, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1993, p. 288
5. Nicole Bourgault et Jean Simard, « Saint-Jean-Port-Joli et son patrimoine religieux », http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-686/Saint-Jean-Port-Joli_et_son_patrimoine_religieux.html#.XvNmNC17Q0, consulté le 20 novembre 2021.
6. Gérard Ouellet indique en 1944 que Jean-Julien assiste Médard dans la production d’art religieux qui est devenu la spécialité de ce dernier : Gérard Ouellet, Ma paroisse, Saint-Jean Port-Joly, Québec, Les Éditions des Piliers, 1946, p. 302.
7. Nicole Bourgault, Œuvres de sculpture et d’ébénisterie de l’église Saint-Charles-Garnier comprenant une analyse particulière de l’atelier Jean-Julien Bourgault. Rapport de recherche, Québec, Ville de Québec et Fabrique Saint-Charles-Garnier, mai 2010, p. 41–42, 64 et 67.
8. Nicole Bourgault, Hélène Bourque, Claude Corriveau et Ginette Laroche. Le patrimoine religieux de l’église Saint-Charles-Garnier, Québec, Fabrique Saint-Charles-Garnier, 2012, [135 p.], et Nicole Bourgault, « Œuvres de sculptures et d’ébénisterie… », op. cit. p. 62.
9. Les références sont nombreuses. En voici quelques-unes. ACS, F050/1/10, Médard Bourgault à Albert Tessier le 19 mai 1942. ACS, F050/1/26, J. Michaud, Casavant Frères Limitée, à Médard Bourgault, 27 décembre 1958. Paul Trépanier, « Le sculpteur Henry Angers : la fin d’une tradition » Cap-aux-Diamants, volume 3 (1), 1987, p. 84.
10. Il s’agit de fait d’un atelier de formation sans curriculum académique. La première école avec curriculum sera L’École de sculpture sur bois de Saint-Jean-Port-Joli que dirigera Pierre Bourgault à partir de 1967.
11. L’Action catholique, février 1958, ACS, F100/389/61. Cet article est également publié dans La tribune du 27 février 1958, p. 11 et dans Le Soleil du 26 février 1958, p. 3.
12. Benoi Deschênes, Benoi Deschênes, sculpteur et peintre, Saint-Jean-Port-Joli, Éditions Port-Joly, 2011, 239 p.
13. Voir les articles suivants : https://ethnologiequebec.org/2017/09/les-retrouvailles-des-heritiers-de-medard-bourgault-un-immense-succes/; https://ethnologiequebec.org/2018/08/sculpteurs-animaliers/; https://ethnologiequebec.org/2018/01/videos-sur-les-sculpteurs-sur-bois-de-la-tradition-bourgault/
14. Sa production en dessin est imposante. On en trouve une belle collection aux ACS, F215 E.
Image à la Une : Le Conseil municipal. Bas-relief, 1949. Collection Jean Cyr, exposition « Jean-Julien Bourgault et son temps », Musée Pop, 2017. Photographie Jean-François Blanchette.
Un commentaire
Les Bérets, voici une partie de l’histoire du Québec malheureusement ignorée d’une majorité de québécois (même de souche)…
St-Jean-Port-Joli aurait le juste droit de “quémander” de majeures subventions pour faire connaître ce patrimoine culturel tentaculaire qui s’est développé au profit de moultes régions du Québec.
Bravo pour cette sortie de “Médard Bourgault et ses héritiers-un siècle de sculptures à St-Jean-Port-Joli”