Les ateliers du maître-sculpteur Jean-Julien Bourgault, 1949–1996

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Présentation

Le 29 mai 2023 | Cet arti­cle web (1) est le qua­trième d’une série qui porte sur les ate­liers de sculp­ture sur bois des trois frères Bour­gault, Médard (1897–1967), André (1898–1958) et Jean-Julien (1910–1996), qui ont fait l’objet d’un livre pub­lié récem­ment, Médard Bour­gault et ses héri­tiers – Un siè­cle de sculp­ture à Saint-Jean-Port-Joli (2). Le pre­mier arti­cle web « Médard Bour­gault, maître d’art, 1930–1967 » se trou­ve ici. Le deux­ième, « L’École de sculp­ture sur bois Médard & Jean‑J. Bour­gault, 1940–1942 », ici. Le troisième, « André Bour­gault, maître-sculp­teur, 1936–1958 », ici.

 

Introduction

A) L’habitant con­tem­ple sa terre. Ronde-bosse signée  « Jean‑J. Bour­gault », v. 1940, 41 cm. Col­lec­tion privée. Pho­to : Jean-François Blanchette
B) Marie et l’Enfant Jésus. Ronde-bosse signée sur la base « Jean‑J. Bour­gault », v. 1950, c. 50 cm. Pho­tographié chez Bolduc Antiq­ui­tés par Jean-François Blanchette.
C) Cré­pus­cule. Plâtre bronzé signé au bas « J. J. Bour­gault 1984 », c. 40 cm. Pho­tographié au Ren­dez-vous du col­lec­tion­neur par Jean-François Blanchette.

Jean-Julien tra­vaille d’abord comme marin puis comme menuisi­er à l’atelier de son père avec son frère Médard. Ce dernier le con­va­inc de l’aider à rem­plir ses com­man­des de sculp­tures en 1931. Jean-Julien se rap­pelle :

« C’est un vrai stu­dio des frères Bour­gault, à qui ferait la pièce la plus orig­i­nale et ça devient que l’on ne trou­ve plus de vrais moments de repos (3). »

Comme Jean-Julien est habile à manier le ciseau et qu’il aime la com­po­si­tion, il réus­sit très vite à pro­duire des œuvres qui plaisent à la clien­tèle. Homme prag­ma­tique, il réus­sit bien en affaires. Comme pour ses frères, c’est l’art paysan qui a été la rai­son du marché rapi­de qu’il a réus­si à dévelop­per au début des années 1930. André les ayant quit­té en 1935, Jean-Julien tra­vaille à l’atelier de Médard jusqu’en 1949. On y réfère comme Ate­lier Médard Bour­gault et frère. Jean-Julien prof­ite avec son frère Médard du renou­veau de fer­veur religieuse qui dure depuis le milieu du XIXe siè­cle (4) et qui se pour­suit jusqu’au milieu du XXe siè­cle. En 1937, les deux frères sculptent la chaire de l’église de leur paroisse qui leur com­man­dera d’autres pièces plus tard (5). Les com­man­des afflu­ent de partout. Les com­mu­nautés religieuses, les paroiss­es et les cathé­drales du Cana­da com­man­dent des sculp­tures religieuses de Médard et Jean-Julien l’assiste (6).

 

L’atelier de mobilier d’église de Jean-Julien Bourgault, 1949–1957

Comme la demande pour le mobili­er d’église est grande, Jean-Julien quitte l’atelier qu’il partage avec Médard et fonde un ate­lier qui se spé­cialise à cette fonc­tion. Il y a créa­tion d’un pat­ri­moine religieux con­sid­érable. Le style de l’ameublement et du décor d’église qui est adop­té est inspiré de celui de l’École Boulle de Paris où Jean-Marie Gau­vreau, qui encour­age les frères Bour­gault dans leur entre­prise, a étudié (7). On crée l’ameublement et le décor pour 70 cathé­drales, églis­es, chapelles et monastères du Québec, du Cana­da et des États-Unis. Il y a peu de doc­u­men­ta­tion écrite sur le détail des réal­i­sa­tions de mobili­er d’église de Jean-Julien Bour­gault. Par con­tre, la richesse artis­tique et archi­tec­turale de l’église Saint-Charles Gar­nier a été analysée par Nicole Bour­gault, Hélène Bourque, Claude Cor­riveau et Ginette Laroche et on a con­clu qu’il con­sti­tu­ait l’ensemble le mieux con­servé de la con­tri­bu­tion de Jean-Julien Bour­gault au pat­ri­moine religieux (8). Mal­gré les nom­breuses réal­i­sa­tions et les com­man­des exis­tantes, Jean-Julien doit ralen­tir la pro­duc­tion de mobili­er d’église au milieu des années 1950 en rai­son de la com­péti­tion féroce des marchands de plâtre du Québec et d’Italie et des ébénistes locaux et inter­na­tionaux qui sont fort présents sur les marchés (9).

 

L’École de sculpture Jean‑J. Bourgault, 1957–1967

À l’atelier de l’École de sculp­ture Jean‑J. Bour­gault en 1960–1961.
De g. à dr., Vic­tor Dal­laire, Gilles Bour­gault (Gil Bour­gault), Lucien Dubé, Fer­nand Caron, Lucien Trem­blay, Julien Desrosiers, André Pel­leti­er et Jean-Marc Morin.
Les œuvres devant les élèves mon­trent la grande var­iété de thèmes et de styles. L’œuvre de Dal­laire est résol­u­ment mod­erne. Pho­to : Alphonse Tou­s­saint, BAnQ-Qc, P994, S1, D5/111

Le ralen­tisse­ment de la pro­duc­tion à l’atelier de mobili­er religieux amène Jean-Julien à se con­cen­tr­er à la sculp­ture pro­pre­ment dite ain­si qu’à la for­ma­tion d’apprentis. Il ouvre donc L’É­cole de sculp­ture Jean‑J. Bour­gault en 1957. Cette fois-ci, Jean-Julien est assisté de son épouse Marie-Antoinette Caron, aux fonc­tions admin­is­tra­tives, et de son fils Gilles, désor­mais un sculp­teur pro­fes­sion­nel. Cette unité famil­iale con­stitue le noy­au de l’atelier-école (10) et en per­met le suc­cès. Chaque année, de dix à vingt appren­tis s’y inscrivent et suiv­ent des cours pen­dant deux années, grâce au sup­port financier qu’ils reçoivent du pro­gramme d’Aide à la jeunesse pour pay­er leur pen­sion et leur cours. L’approche péd­a­gogique demeure la même que celle établie dès les pre­miers ate­liers de Saint-Jean-Port-Joli, soit une for­ma­tion pra­tique à la sculp­ture sur bois en taille directe. Les élèves — jeunes gens et aus­si jeunes filles — vien­nent de partout au Québec. Les pièces pro­duites appar­ti­en­nent à l’école qui les vend.

Robert Rice de la Presse cana­di­enne décrit l’atelier de Jean-Julien dans l’Action catholique du 26 févri­er 1958 :

« (…) Dans cet ate­lier, il dis­pose d’une panoplie de plus de 250 out­ils de tra­vail et utilise surtout les bois du Québec dans ses travaux de sculp­ture. Il importe, toute­fois, de l’acajou de l’Amérique du Sud, employ­ant les bois les plus vieux, par­tant les plus secs et le plus prop­ices à la sculp­ture.  (…) Le prix des ouvrages de Jean-Julien varie entre 50 cents à $ 2,000 par sculp­ture. Ses œuvres sont dis­séminées de par le monde (11). »

L’École de sculp­ture Jean‑J. Bour­gault ferme au print­emps 1967. Cet ate­lier-école aura eu un impact majeur sur la sculp­ture sur bois en taille directe, car on y a for­mé plus d’une cen­taine de sculp­teurs. Par­mi les élèves de Jean-Julien au cours de ces années, on trou­ve de nom­breux sculp­teurs qui ont fait leur mar­que dont Pier Clouti­er, Mau­rice Har­vey, Denys Hep­pell, Gaé­tan Hov­ing­ton, Jean-Pierre Morin, André Pel­leti­er, Her­man Raby, et bien d’autres. Cer­tains d’entre eux comme Gil-Jacques Clouti­er, Vic­tor Dal­laire, Benoi Deschênes (12), Nicole Deschênes Duval et Mar­cel Guay sont devenus maîtres d’ateliers et ont for­mé d’autres appren­tis (13). À l’automne 1967, la for­ma­tion d’élèves sera reprise par l’École de sculp­ture sur bois de Saint-Jean-Port-Joli, sous l’égide de la Com­mis­sion sco­laire régionale Pas­cal-Taché. Elle sera dirigée par le fils de Jean-Julien, Pierre Bour­gault. Jean-Julien, quant à lui, en prof­it­era pour explor­er son art en toute lib­erté.

L’art de Jean-Julien Bourgault

A) Jacques Labrecque interprétant « Jos Mont­fer­rand » de Gilles Vigneault, v. 1962. Ronde-bosse, 60 x 24 x 26 cm. Musée de la mémoire vivante 2022–18.1. Pho­to : Jean-François Blanchette
B) Tex Lecor. Ronde-bosse sculptée dans un tronc d’arbre Pho­to : Krieber, Acs, F215/12 (J10.79)
C) La Fille de la forêt, 1961. Ronde-bosse, noy­er ten­dre, 105 x 48 x 23 cm, sur le thème de la légende du même nom. Col­lec­tion Jean-Marc et Danielle Belzile.

Tal­entueux en dessin (14), Jean-Julien l’est égale­ment pour exprimer dans le bois les car­ac­tères de ses per­son­nages. Il est un grand obser­va­teur de ce qui se passe autour de lui. Il aime représen­ter dans le bois, sou­vent avec humour, les activ­ités sociales, religieuses et poli­tiques qui ont lieu dans la com­mu­nauté, les assem­blées publiques à la sor­tie de l’église ou au marché. Ses bas-reliefs, ses ron­des-boss­es et ses pièces mon­tées présen­tent ain­si ses conci­toyens avec des allures cocass­es. La vivac­ité de ses ron­des-boss­es exprime les états d’âme des humains, sou­vent de ses con­tem­po­rains, amis, voisins et per­son­nages his­toriques. Le style car­i­cat­ur­al des scènes de ses bas-reliefs lui per­met d’exprimer son humour et sa cri­tique. Son amour de la cul­ture orale locale lui per­met de représen­ter son imag­i­naire avec exubérance. Con­tes, légen­des et réc­its fan­tas­tiques se retrou­vent exprimés dans des ron­des-boss­es et des bas-reliefs savoureux comme La Chas­se-galerie et La Coureuse des grèves, imprégnés d’une inter­pré­ta­tion toute per­son­nelle. Enfin, son amour de la nature lui per­met de s’éloigner de ses tâch­es et l’inspiration qu’il y puise renou­velle son impul­sion créa­trice.

 

Épilogue

Auto­por­trait, 1977. Le sculp­teur, sa muse et leurs cinq enfants. Bas-relief, pin blanc, 89 x 181 cm, Musée de la sculp­ture sur bois des Anciens Cana­di­ens, 2015–47. Pho­to : Jean-François Blanchette

Jean-Julien Bour­gault, plus que tout autre sculp­teur de son époque, a com­pris le besoin des Québé­cois d’exprimer pro­fondé­ment ce qu’ils sont. Sa très grande capac­ité de com­mu­ni­ca­tion et d’échange avec ses inter­locu­teurs lui a per­mis de créer des œuvres qui témoignent de son époque, en même temps qu’elles sont intem­porelles, car elles expri­ment des états d’âme pro­fondé­ment humains. Il aura été un artiste de son temps, sculp­tant le laboureur et l’homme religieux que nous étions pour s’adonner plus tard au culte du nu féminin dans toute sa sen­su­al­ité. Maître-sculp­teur, il le fut. Non seule­ment en rai­son de la qual­ité et de la créa­tiv­ité de son œuvre, mais égale­ment parce qu’il a for­mé un nom­bre imposant d’apprentis tout au long de sa car­rière. Son influ­ence fut immense.

 

Crédits
Recherche et rédac­tion : Jean-François Blanchette
Révi­sion : Louise Décarie
Mise en page : Marie-Ève Lord
Illus­tra­tions : tel qu’indiqué au bas des vignettes

 

Pour acheter la pub­li­ca­tion de Jean-François Blanchette, Médard Bour­gault et ses héri­tiers – Un siè­cle de sculp­ture à Saint-Jean-Port-Joli, Québec, Société québé­coise d’ethnologie, 2023, 264 p., cli­quer ici.

 

Notes
1. Je tiens à remerci­er Nicole et Pierre Bour­gault, fille et fils de Jean-Julien Bour­gault, pour leur apport indé­fectible à mes recherch­es.
2. Jean-François Blanchette, Médard Bour­gault et ses héri­tiers – Un siè­cle de sculp­ture à Saint-Jean-Port-Joli, Québec, Société québé­coise d’ethnologie, 2023, 264 p.
3. Archives de la Côte-du-Sud (désor­mais ACS), Fonds Jean-Julien Bour­gault, F215/1/4. Notes biographiques.
4. Diane Saint-Pierre, « Un nou­v­el encadrement insti­tu­tion­nel. 1850–1930 » dans Alain Laberge, dir., His­toire de la Côte-du-Sud, Col­lec­tion Les régions du Québec 4, Québec, Insti­tut québé­cois de recherche sur la cul­ture, 1993, p. 288
5. Nicole Bour­gault et Jean Simard, « Saint-Jean-Port-Joli et son pat­ri­moine religieux », http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-686/Saint-Jean-Port-Joli_et_son_patrimoine_religieux.html#.XvNmNC17Q0, con­sulté le 20 novem­bre 2021.
6. Gérard Ouel­let indique en 1944 que Jean-Julien assiste Médard dans la pro­duc­tion d’art religieux qui est devenu la spé­cial­ité de ce dernier : Gérard Ouel­let, Ma paroisse, Saint-Jean Port-Joly, Québec, Les Édi­tions des Piliers, 1946, p. 302.
7. Nicole Bour­gault, Œuvres de sculp­ture et d’ébénisterie de l’église Saint-Charles-Gar­nier com­prenant une analyse par­ti­c­ulière de l’atelier Jean-Julien Bour­gault. Rap­port de recherche, Québec, Ville de Québec et Fab­rique Saint-Charles-Gar­nier, mai 2010, p. 41–42, 64 et 67.
8. Nicole Bour­gault, Hélène Bourque, Claude Cor­riveau et Ginette Laroche. Le pat­ri­moine religieux de l’église Saint-Charles-Gar­nier, Québec, Fab­rique Saint-Charles-Gar­nier, 2012, [135 p.], et Nicole Bour­gault, « Œuvres de sculp­tures et d’ébénisterie… », op. cit. p. 62.
9. Les références sont nom­breuses. En voici quelques-unes. ACS, F050/1/10, Médard Bour­gault à Albert Tessier le 19 mai 1942. ACS, F050/1/26, J. Michaud, Casa­vant Frères Lim­itée, à Médard Bour­gault, 27 décem­bre 1958. Paul Trépanier, « Le sculp­teur Hen­ry Angers : la fin d’une tra­di­tion » Cap-aux-Dia­mants, vol­ume 3 (1), 1987, p. 84.
10. Il s’agit de fait d’un ate­lier de for­ma­tion sans cur­ricu­lum académique. La pre­mière école avec cur­ricu­lum sera L’École de sculp­ture sur bois de Saint-Jean-Port-Joli que dirig­era Pierre Bour­gault à par­tir de 1967.
11. L’Action catholique, févri­er 1958, ACS, F100/389/61. Cet arti­cle est égale­ment pub­lié dans La tri­bune du 27 févri­er 1958, p. 11 et dans Le Soleil du 26 févri­er 1958, p. 3.
12. Benoi Deschênes, Benoi Deschênes, sculp­teur et pein­tre, Saint-Jean-Port-Joli, Édi­tions Port-Joly, 2011, 239 p.
13. Voir les arti­cles suiv­ants : https://ethnologiequebec.org/2017/09/les-retrouvailles-des-heritiers-de-medard-bourgault-un-immense-succes/; https://ethnologiequebec.org/2018/08/sculpteurs-animaliers/; https://ethnologiequebec.org/2018/01/videos-sur-les-sculpteurs-sur-bois-de-la-tradition-bourgault/
14. Sa pro­duc­tion en dessin est imposante. On en trou­ve une belle col­lec­tion aux ACS, F215 E.

 

Image à la Une : Le Con­seil munic­i­pal. Bas-relief, 1949. Col­lec­tion Jean Cyr, expo­si­tion « Jean-Julien Bour­gault et son temps », Musée Pop, 2017. Pho­togra­phie Jean-François Blanchette.

Un commentaire

  1. Les Bérets, voici une par­tie de l’his­toire du Québec mal­heureuse­ment ignorée d’une majorité de québé­cois (même de souche)…
    St-Jean-Port-Joli aurait le juste droit de “qué­man­der” de majeures sub­ven­tions pour faire con­naître ce pat­ri­moine cul­turel ten­tac­u­laire qui s’est dévelop­pé au prof­it de moultes régions du Québec.
    Bra­vo pour cette sor­tie de “Médard Bour­gault et ses héri­tiers-un siè­cle de sculp­tures à St-Jean-Port-Joli”

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